Voyons comment les sionistes ont “sauvé les Juifs” durant la seconde
guerre mondiale...
par Israël Shamir
Translation : Marcel Charbonnier
Année après année, les journées de juin ramènent à ma mémoire les
souvenirs de la guerre. Pour le peuple juif, la guerre a représenté une
terrible tragédie - un tiers des Juifs sont morts, des communautés
entières, des plus ancestrales et des plus riches de traditions, ont été
anéanties. Pourquoi cela s’est-il produit ? Pourquoi ce peuple,
généralement plutôt énergique, n’a-t-il pu éviter cela ? Par-delà les
responsables directs, évidents - les nazis - il y eut aussi d’autres
coupables, qui ont contribué à rendre cette tragédie possible ; les uns
par ignorance, d’autres par indifférence à l’égard de la vie d’autrui,
d’autres encore pour des raisons idéologiques.
On raconte une anecdote qui met en scène un pauvre petit moineau bien
près de mourir de froid, mais sauvé par la chaleur du fumier des vaches,
et finalement dévoré par le chat ! Moralité : “Tous ceux qui te
dégoûtent ne sont pas forcément tes ennemis, tous ceux qui te tirent de
la m... ne sont pas nécessairement tes amis...” : cette historiette me
revient à l’esprit tandis que je m’apprête à raconter les étranges
relations bilatérales entre les Juifs et le mouvement sioniste.
Avant d’aller plus loin, formulons un reproche fondamental à l’encontre
du sionisme : ce mouvement a vu le jour, initialement, pour protéger et
sauver des Juifs (menacés), en tout premier lieu les Juifs d’Europe
orientale. Mais, par la suite, il s’est fixé pour mission essentielle la
création et la pérennisation d’un Etat juif en Palestine. Afin
d’atteindre ce but, le mouvement sioniste était prêt - et il le reste,
jusqu’à ce jour - à sacrifier les intérêts des juifs. C’est ce qui s’est
passé, y compris durant la seconde guerre mondiale.
Pour des habitants de l’Union soviétique, cette accusation n’avait rien
de surprenant. Le sionisme était, en effet, le contemporain du
bolchévisme et, comme lui, il s’était développé sous le mot-d’ordre “On
ne saurait couper la forêt sans que volent les copeaux”. Mais voilà la
différence : pour les bolchéviques, l’objectif était universel :
l’édification du socialisme en Russie, la réalisation du bonheur pour
tous. Tandis que pour les sionistes, il s’agissait de fonder un état
puissant au Moyen-Orient, qui prenne la succession de l’empire du Roi
Salomon. Et pour mener à bien cette ‘noble’ tâche, tous les moyens
étaient bons...
Sabbataï Beit-Tsvi, un vieux juif russe, avait travaillé toute sa vie
aux archives de l’Agence juive à Tel Aviv. Une fois à la retraite, il
avait “publié”, en 1977, un ‘samizdat’ (‘à compte d’auteur’), épais de
quelque 500 page au format in IV°, sous le titre-fleuve et quelque peu
nébuleux “La crise du sionisme post-ougandais aux jours de la
catastrophe des années 1938-1945". Cet ouvrage était resté inaperçu d’un
grand nombre de lecteurs et son introduction, ainsi que sa conclusion
- horrifiantes - consacrées au rôle joué par le mouvement sioniste dans
la tragédie des Juifs d’Europe finirent par produire l’effet d’une bombe
il y a tout juste six ans, lorsqu’elles furent citées par l’historien
israélien (tout ce qu’il y a de plus officiel et unaniment reconnu) Dina
Porat. Depuis lors, son travail a été utilisé à maintes reprises par des
historiens qui n’ont pas toujours eu la délicatesse élémentaire de s’en
référer à notre retraité, qui végète depuis belle lurette retiré aux
regards du monde.
Sans me perdre dans les arcanes de ce passé lointain, je dirai qu’en
utilisant l’expression “sionisme post-ougandais”, Beit-Tsvi avait en vue
le mouvement sioniste tel qu’il s’était formé alors que le vingtième
siècle en était encore à ses premiers balbutiements, c’est-à-dire que le
sionisme dont il est question est bien le sionisme proprement dit, le
sionisme du vingtième siècle. D’après Beit Tsvi, le sionisme connaît
alors une grave crise : il se divise sur la question de savoir s’il
fallait - ou non - accepter la proposition de l’Angleterre : créer un
état juif en Ouganda. Ceux qui avaient le souci du sort du peuple juif
étaient favorables au projet ougandais (c’étaient les ‘minoritaires’),
mais les ‘palestinocentristes’ (‘majoritaires’) l’emportèrent et
s’attelèrent sans plus traîner à construire un état juif en Palestine à
tout prix, fût-ce au détriment du peuple juif. En particulier, ceci se
fit sentir aux jours du triomphe du nazisme, lorsque le peuple juif ne
put sauver un tiers des siens de l’extermination, pour la simple raison
que sauver des Juifs, était bien le dernier souci des sionistes, si les
rescapés n’émigraient pas en Palestine. Par contre, il n’existait pas
encore à proprement parler de mouvement juif non-sioniste (un petit
noyau, embryonnaire, existait, mais il ne jouissait d’aucune influence
notable).
“En décembre 1942, lorsque le caractère massif de l’extermination des
Juifs d’Europe devint patent (écrit Beit-Tsvi), l’homme qui allait
devenir le deuxième président de la République d’Israël, Chazar, formula
la question purement rhétorique suivante : ‘pourquoi, nous, (mouvement
sioniste), n’avons-nous pas su ? Pourquoi les nazis ont-ils pu nous
prendre au dépourvu ?’ Tandis qu’un autre participant à la même réunion
des dirigeants du mouvement sioniste, Moshé Aram, déclarait de son
côté : ‘Nous avons été des complices involontaires du massacre’ (parlant
de ceux qui savaient, mais n’avaient rien fait).”
“L’organisation sioniste a réussi le tour de force de ‘ne rien savoir’
de la catastrophe jusqu’à l’automne 1942 et si ce tour de force, elle
l’a réalisé, c’est pour la simple raison qu’elle ne voulait rien
savoir”, poursuit Beit-Tsvi.
Puis il détermine à quel moment les nazis ont décidé de procéder à
l’élimination systématique des Juifs : à l’évidence, ce fut en été 1941,
à telle enseigne que le premier document d’archive relatif à cette
décision est daté du 30 juin 1941. L’éradication projetée des Juifs
était un secret absolu et si les pays ennemis de l’Allemagne en avaient
eu connaissance, ils auraient pu stopper ou tout au moins ralentir ou
dénoncer la mise en pratique de l’ordre non-écrit d’Hitler. Mais le
mouvement sioniste n’était pas intéressé par la publicité, et il se
comporta de façon totalement irresponsable : alors que la seconde guerre
mondiale n’avait pas encore éclaté, en 1939, lors du 21ème congrès du
mouvement sioniste réuni à Genève, un cacique du sionisme (il s’agissait
du futur premier président de la République d’Israël, Chaïm Weizman)
avait déclaré la guerre à l’Allemagne, (rien que çà), non pas au nom des
Juifs de Palestine, ni même au nom du sionisme, mais au nom de
l’ensemble du peuple juif... Le 21 août 1939, cette ‘déclaration de
guerre’ fut rendue publique, ce qui permit aux nazis de dire, par la
suite, que “les Juifs sont les fauteurs de guerre”. Du point de vue de
(notre) Beit-Tsvi, ceci traduisait avec éloquence la position
égocentrique des sionistes, qui faisaient prévaloir en permanence leur
propre point de vue sur celui de l’ensemble du peuple juif, se souciant
(du sort) du peuple (juif), en réalité, comme d’une guigne...
La presse pro-sioniste obtempéra aux consignes de ses dirigeants, et
même lorsque parurent dans les journaux, le 16 mars 1942 - en se fondant
sur une lettre du commissaire national soviétique Molotov - les premiers
témoignages d’exterminations massives de Juifs, après qu’eurent été
perpétrés Babi Yar et d’autres massacres, dès le lendemain, 17 mars
1942, on pouvait lire dans les journaux hébreux publiés en Palestine, un
démenti officiel, selon lequel les nouvelles faisant état de centaines
de milliers de Juifs tués étaient ‘des mensonges et des exagérations’.
Molotov faisait état de 52 000 Juifs massacrés à Kiev : le journal
sioniste ‘Davar’ reprend ses propos, avec une réserve d’importance :
‘selon nos propres données, la majorité des personnes mortes à Kiev
n’étaient absolument pas juives.’ Dans d’autres journaux, on ne reprit
pas non plus telles quelles les informations données par Molotov et on
en avança d’autres, ‘de première main’, notamment : “à Kiev, ce sont en
réalité ‘seulement’ un millier de Juifs qui ont été tués”. Beit-Tsvi
cite des dizaines de journaux sionistes, et dans tous, sans exception,
revient le même leit-motiv : il n’y a pas connaissance d’un quelconque
génocide ; tout cela, ce ne sont que des mensonges. “Il faut se garder
de propager des rumeurs’, écrivait, le lendemain, le journal Ha-Tsofé,
‘le peuple d’Israël a déjà tellement de péchés sur le dos : inutile d’y
ajouter le mensonge, par-dessus le marché !” Mais le coupable, ce
n’était pas la presse, écrit Beit-Tsvi : la communauté juive de
Palestine ne voulait pas entendre des nouvelles désagréables venues
d’Europe. Alors, “toute une armée d’écrivains, de commentateurs,
d’éditorialistes abreuva les lecteurs d’articles lénifiants et
d’explications ‘au tilleul’.” Seule le mouvement d’opposition ‘Brit
Shalom’, regroupant des partisans de la paix avec les Arabes, apporta
foi à la missive de Molotov, mais personne ne l’écouta...
A la même époque, poursuit Beit-Tsvi, les dirigeants sionistes
connaissaient quelle était la véritable situation. Ils savaient, mais
cela ne les intéressait pas - et pas seulement en Palestine, mais, aussi
bien, à Londres et à New York. Il ne fallait pas s’attendre à une
quelconque sympathie de leur part : certains, comme Ben Gourion,
n’avaient absolument rien à cirer des Juifs d’Europe, d’autres
s’insurgeaient, suggérant que les Juifs “allaient à l’abattoir comme des
moutons” et “ne se battaient pas comme l’auraient fait les héros
légendaires des temps bibliques... “
Ce silence était motivé par des questions de gros sous. Beit-Tsvi
raconte en détail comment les sionistes se sont opposés aux efforts
visant à consacrer des moyens financiers importants de l’organisation
sioniste (et donc du peuple juif) au sauvetage des Juifs (menacés).
Le 18 janvier 1943, les nouvelles au sujet des tueries de Juifs avaient
pris une telle ampleur, sans commune mesure, qu’il était devenu
impossible de les occulter et qu’il fallait en débattre. Au cours d’une
réunion tenue par les dirigeants sionistes, la position qui l’emporta
fut celle d’Yitzhak Grinbaum : ne pas donner un seul centime (‘un kopek,
écrit I. Shamir, ndt) pour le sauvetage des Juifs, et tout faire pour
empêcher la collecte de moyens consacrés à cette fin. “Cela est
dangereux pour le sionisme, nous ne pouvons pas donner de l’argent
prélevé dans les caisses du mouvement sioniste (Keren Ga-esod) fût-ce
pour sauver des Juifs. Nous aurions assez d’argent pour ce faire, mais
nous devons garder ces moyens financiers pour notre (propre) lutte. Le
sionisme passe avant tout : voilà quelle est notre réponse à ceux qui
s’aviseraient de s’écarter de notre mission première afin de sauver les
Juifs d’Europe”. Au cours de la même séance (mémorable), Yitzhak
Grinbaum était élu ‘ministre du sauvetage des Juifs européens”..
Ainsi, le mouvement sioniste se tint pratiquement totalement à l’écart
des tracas que représentait (pour lui) le sauvetage des gens en train de
mourir. Beit-Tsvi cite des dizaines de déclarations et de procès-verbaux
de l’époque : “En mai 1942, le chef des sionistes américains, Abba
Hillel Silver, définit les deux missions fondamentales auxquelles les
sionistes des Etats-Unis étaient confrontés : l’éducation nationale
(nationaliste ?) et la popularisation de l’idée d’un état juif
indépendant. Sur le sauvetage (des Juifs en cours d’extermination) : pas
un mot. En octobre 1942, Ben Gourion définit les trois tâches
fondamentales du sionisme : la lutte contre les entraves à l’immigration
des Juifs (en Palestine), la constitution de forces armées juives et la
création d’un Etat juif en Palestine, une fois la guerre terminée. Sur
le sauvetage des Juifs (en cours d’extermination) : pas un mot.”
Mais le mouvement sioniste ne se contenta pas d’être totalement
indifférent à la (nécessité) de sauver les Juifs (menacés
d’extermination) : il s’ingénia à faire échouer tous les plans de
sauvetage (mis sur pied dans le cadre) de la conférence d’Evian.
Beit-Tsvi consacre un chapitre entier de son livre à ce sabotage, et il
démontre l’influence absolument illimitée des sionistes sur la grande
presse ainsi que leur capacité à se rendre maîtres des opinions. La
conférence d’Evian avait été convoquée en mars 1938 à l’initiative du
président américain Roosevelt, afin d’aider les Juifs à quitter
l’Allemagne, qui venait d’annexer l’Autriche. Au début, le monde juif
manifesta un grand enthousiasme pour cette initiative et il baptisa même
cette conférence “Conférence de la conscience mondiale”. Le mouvement
sioniste nourrissait l’espoir que la conférence accorderait la Palestine
au peuplement juif, et qu’y serait prise une résolution enjoignant à la
Grande-Bretagne - puissance mandataire en Palestine - d’y accueillir les
réfugiés juifs.
Mais tel ne fut pas le cas. La conférence d’Evian se consacra à
l’élaboration de plans pour le sauvetage des Juifs, et non pas à un
quelconque plan de peuplement de la Palestine. Tous les représentants
des différents pays participant à la conférence évoquèrent la
possibilité d’accueillir des réfugiés sur leur territoire respectif, et
ils se gardèrent bien d’exercer une quelconque pression (forcément
vexatoire) sur l’Angleterre. “C’est alors que l’avis des sionistes sur
cette conférence changea du tout au tout, écrit Beit-Tsvi, - la colère
prit la place de l’enthousiasme et les espoirs se métamorphosèrent en
déception. L’intervention du dirigeant du mouvement sioniste mondial,
Chaïm Weitzman, fut remarquée : “si la conférence ne se met pas d’accord
sur la résolution du problème des Juifs une bonne fois pour toutes au
moyen de leur transfert en Eretz Israël- inutile de se fatiguer.”
Immédiatement, toute la presse sioniste lança une campagne hystérique,
écrivant : “nous sommes rejetés et personne ne nous réconforte : le
monde a perdu toute conscience.”
Mais les observateurs non-sionistes étaient optimistes : la conférence
avait suscité l’espoir de voir tous les émigrants (juifs) potentiels
admis dans les différents pays participants. Cet espoir était fondé, et
c’est précisément la raison pour laquelle les sionistes s’ingénièrent de
toutes leurs forces à le torpiller (avec succès). Beit-Tsvi cite la
lettre d’un dirigeant sioniste, George Landauer à un de ses homologues,
Stiven Weiz : “Ce que nous (sionistes) redoutons, par-dessus tout, c’est
que la conférence (d’Evian) n’incite les organisations juives à
rassembler des fonds afin de financer la réinstallation des réfugiés
juifs (dans les pays participants), ce qui obérerait gravement notre
propre collecte de fonds destinés à nos propres objectifs”. Beit Tsvi
résume les propos du chef des sionistes Haïm Weissman : “Pour
(financer) la venue des réfugiés juifs dans d’autres pays, il faudra
beaucoup d’argent, ce qui signifie que les finances sionistes seront
ruinées. Si la conférence est couronnée de succès (c’est-à-dire, si elle
permet aux Juifs persécutés de s’enfuir de l’Allemagne nazie), elle
portera un préjudice irrémédiable au sionisme. Ce qu’à Dieu ne plaise :
que les pays participants à la conférence (d’Evian) proclament leur
générosité et qu’ils invitent les Juifs d’Allemagne à venir se réfugier
sur leurs territoires respectifs, et c’en serait fini du projet
(sioniste) en Palestine : (il y aurait un éparpillement) entre (une
multitude) d’autres pays d’accueil, les Juifs ne (nous) donneraient pas
d’argent, et les Anglais n’accorderaient pas l’autorisation d’immigrer
en Palestine !”
D’ailleurs, d’autres dirigeants du sionisme s’”intéressèrent” à l’idée
de sauver les Juifs (à la conférence de la toute-puissance Agence Juive,
tenue le 26 juin 1938) : Grinbaum évoqua l’”horrible danger d’Evian”, et
David Ben Gourion en personne déclara qu’en cas de succès, la conférence
porterait un coup terrible au sionisme. La mission première des
sionistes, ajouta-t-il, est de dénigrer la bonne image produite par la
conférence et de s’efforcer de la saboter, de ne pas lui permettre
d’adopter une résolution (exécutive).
C’est ce qu’ils firent : une délégation de sous-fifres se rendit à la
conférence et, en substance, dissuada les délégués des autres pays, en
leur sussurant : “mais pourquoi, grands dieux, avez-vous (absolument)
besoin d’immigrants juifs chez vous, qu’allez-vous en faire ?”
L’histoire n’a conservé que le point de vue des sionistes. Mais il est
certain qu’ils étaient fort dépités de voir que la conférence n’ait
manifesté aucune velléité d’exercer des pressions sur la Grande-Bretagne
et que le transfert des Juifs en Palestine n’ait pas prévalu. Les
sionistes sabotèrent les tentatives déployées par tous les pays
occidentaux en vue de sauver les Juifs (des persécutions) de l’Allemagne
nazie : il était préférable qu’ils disparaissent à Dachau, plutôt qu’ils
aillent dans un quelconque pays, autre, bien entendu que (le futur)
Israël. Evidemment, à cette époque, en 1938, personne n’envisageait la
possibilité d’une extermination de masse, néanmoins, lourde est la
responsabilité des sionistes d’avoir saboté la conférence (d’Evian),
contribuant ainsi, de manière objective, à ce que des milliers (de
Juifs) soient exterminés. En réalité, les nazis voulaient seulement ‘se
débarrasser’ des Juifs, les déporter : mais où ? Les Juifs d’Allemagne,
à la notable différence de bien des Juifs soviétiques d’aujourd’hui,
étaient patriotes et très attachés à leur pays : ils ne voulaient pas
l’abandonner, même dans les pires épreuves. En dépit des lois de
Nuremberg, des pogroms, de la discrimination, le nombre annuel des Juifs
émigrant tomba, atteignant un étiage de 20 000 personnes. Au total, de
1933 à 1938, ce sont seulement 137 000 Juifs qui quittèrent l’Allemagne.
Ce rythme, trop lent, à leurs yeux, irrita les nazis, désireux de se
‘débarrasser’ des Juifs au plus vite. La Conférence d’Evian avait pour
objectif de résoudre ce problème : les Juifs chassés (d’Allemagne)
devaient avoir où aller.
Il existait une possibilité de s’entendre : l’Allemagne avait accepté de
ne pas chasser 200 000 Juifs âgés, et (en contre-partie) les autres pays
étaient prêts à recevoir environ un demi-million de personnes sur une
période de trois ou quatre ans. Parmi ceux-ci : les Etats-Unis
(100 000) ; le Brésil (40 000) ; la République dominicaine (100 000),
etc.. Beit-Tsvi relate en détail comment les sionistes ont fait échouer
tous les plans d’émigration des Juifs, le plan Rabli comme les autres.
Le futur ministre des Affaires étrangères israélien Israël Moshé Sharett
(Tchertok), déclara, lors du comité de direction du mouvement sioniste,
le 12 novembre 1938, (deux jours après la Nuit de Cristal, pogrom de
masse de Juifs, en Allemagne) : “l’Agence juive ne doit pas être
complice de l’émigration des Juifs vers d’autres pays.” Yitzhak Grinbaum,
‘ministre du sauvetage des Juifs’ (rappelons-le...) s’exprima en des
termes encore plus brutaux : “Il faut tout faire pour empêcher
l’émigration organisée hors d’Allemagne et déclencher une guerre ouverte
contre ce pays, sans se préoccuper du sort des Juifs allemands. Bien
sûr, les Juifs d’Allemagne seront ceux qui paieront : mais que faire ?”
Beit-Tsvi considère la déclaration, par les sionistes, de la ‘guerre
contre l’Allemagne’ comme une erreur funeste. Pour lui, tout était
encore négociable, il était encore possible d’aplanir les tensions et ne
pas s’engager dans l’engrenage (infernal) des blocus, boycott, isolement
de l’Allemagne. Il aurait été possible, ce faisant, d’éviter que soient
prises bien des mesures anti-juives.
Ainsi, les sionistes ont saboté toutes les tentatives déployées en vue
de sauver des Juifs (en les mettant à l’abri) ailleurs qu’en Palestine.
Les peuples du monde voulaient sauver les Juifs, mais pas sur les ruines
des villages palestiniens, pas au prix du génocide des Palestiniens.
Cela n’arrangeait pas les sionistes. Ils ont donc saboté le plan
d’installation des fugitifs sur l’île de Mindanao, aux Philippines,
solution à laquelle avait travaillé d’arrache-pied le président
Roosevelt, ainsi que d’autres projets, en Guyane Britannique, en
Australie, etc... Lorsque Chamberlain proposa de donner refuge et
possibilité de s’installer aux réfugiés juifs au Tanganyka (aujourd’hui,
la Tanzanie, en Afrique orientale), le dirigeant des sionistes
d’Amérique, Steven Weiss, poussa des hauts-cris : “Puissent mes
frères juifs d’Allemagne mourir, plutôt qu’aller vivre dans les
anciennes colonies allemandes”. Certes, Weiss n’imaginait pas que la
mort attendait déjà, bel et bien, les Juifs d’Allemagne : pour lui, tout
cela n’était que des ‘on-dit’...
Mais, même par la suite, écrit Beit-Tsvi, les sionistes s’en prirent
durement au peuple juif. Ainsi, en avril 1942, alors que les nouvelles
de l’extermination des Juifs s’étaient déjà largement répandues à
travers le monde, le ‘ministre des affaires étrangères’ du mouvement
sioniste déclara : “il ne faut pas perdre notre temps à sauver des
Juifs, s’ils ne sont pas destinés à immigrer en Palestine.” A la même
époque, Chaïm Weissman est ‘heureux’ de constater qu’on n’ait pu trouver
de refuge pour les Juifs. Le chef du mouvement sioniste américain,
Steven Weiss, donna l’ordre qu’on arrêtât d’envoyer des colis
alimentaires aux Juifs qui étaient en train de mourir de faim dans le
ghetto de Varsovie...
Beit-Tsvi analyse dans le détail la proposition du président de la
République Dominicaine, Trujillo, consistant à accueillir 100 000
réfugiés juifs (afin d’accroître la population blanche, introduire des
capitaux et améliorer les relations de la République avec les
Etats-Unis). Et même là, (à l’autre bout du monde), les sionistes se
chargèrent de la faire échouer. Quelques dizaines de familles,
seulement, vinrent s’installer à Saint-Domingue. La voie fut barrée aux
autres par les efforts déployés par l’organisation sioniste dans tous
les domaines : les financiers ne donnèrent pas d’argent, les moralistes
avertirent qu’à Saint-Domingue, les Noirs étaient opprimés, les puristes
écrirent que là-bas, les mariages mixtes étaient pratiquement
inévitables... Si bien qu’au début 1943, Chaïm Weissman put dire avec
une satisfaction évidente que ce plan était définitivement enterré...
Un des récits les plus cauchemardesques, dans le livre de Beit-Tsvi, a
trait aux navires “Patria” et “Struma”. Durant des années, voire des
décennies, la propagande sioniste a raconté que les réfugiés Juifs à
bord de ces deux bateaux avaient préféré mourir, après qu’on leur eût
interdit de débarquer dans ce qui allait devenir Israël et qu’ils
avaient décidé de se faire sauter. La propagande sioniste la plus
haineuse accusa les Anglais de tout et n’importe quoi, jusques et y
compris d’avoir soi-disant miné le “Patria” et torpillé le “Struma”. Les
paroles de Ben Gourion, en mai 1942, avaient été prises au pied de la
lettre : “Israël ou la mort”. Ceci signifiait en fait que les sionistes
ne laissaient aux Juifs d’Europe d’autre choix que de mourir ou
d’immigrer (en Palestine).
A bord du “Patria”, il y avait pas moins de deux mille fugitifs, pour
l’essentiel des Juifs de Tchécoslovaquie et d’Allemagne, le navire
mouillait au port de Haïfa, en novembre 1940, avant de mettre le cap
vers l’île de Mavriki. L’Angleterre, puissance exerçant la souveraineté
en Palestine, ne pouvait laisser entrer un tel nombre d’immigrants
illégaux contre la volonté du peuple palestinien, mais elle ne voulait
pas, pour autant, que les Juifs mourûssent, c’est pourquoi elle décida
de déporter les réfugiés sur une île de l’Océan indien, en attendant la
fin de la guerre. Mais le commandement de la Hagana, organisation
illégale de combattants juifs, qui deviendra par la suite l’armée
israélienne, décida d’empêcher par tous les moyens cette ‘déportation’
(terme plus approprié : transfert), et à cette fin, elle recourut aux
mines pour couler le “Patria”. La décision avait été approuvée par le
‘ministre des affaires étrangères’ de la communauté juive
Tchertok-Sharett, en réponse à la proposition de Shaul Avigur, qui
dirigera plus tard les services secrets israéliens. Meir Mardor installa
la mine dans la cale du bateau, et déclencha l’explosion à environ neuf
heures du matin. Le vaisseau coula en une dizaine de minutes, entraînant
dans la mort deux cent cinquante fugitifs.
Sans un enchaînement de circonstances, il y aurait eu encore plus de
victimes. La Hagana voulait utiliser une mine beaucoup plus puissante,
mais elle ne put l’acheminer à bord du “Patria”, à cause de la
surveillance intensive du port par l’armée anglaise. Ils ne purent pas
non plus faire exploser la mine en pleine nuit, sinon il n’y aurait eu
vraisemblablement aucun survivant. “En respect de la solidarité
nationale, les (sionistes) opposés à cette mesure gardèrent le silence”,
écrit Beit-Tsvi, même lorsque les sionistes essayèrent d’en faire
retomber la responsabilité sur... les Anglais, qui avaient sauvé avec
une abnégation incroyable les (malheureux) passagers du “Patria”...
On ne connaît pas avec précision le sort du “Struma”, car il y eut un
seul rescapé. Mais Beit-Tsvi pense que dans ce cas là, aussi, le
sabotage est hautement probable. (De nos jours, on raconte généralement
que ce navire aurait été torpillé par erreur par un sous-marin
soviétique...). La direction sioniste prit très calmement la nouvelle de
la disparition tragique des réfugiés du “Patria” : “Ils ne sont pas
morts en vain”, déclara Eliahu Golomb. Toutefois, il convient de
préciser qu’il ne s’agissait pas de leur belle mort, mais qu’on les
avait ‘fortement aidés’ à mourir. “Le jour (de la déportation des
réfugiés) à bord de l’”Atlantique”, ajouta le même, traduisant
scrupuleusement le crédo sioniste, fut plus noir encore que celui où
moururent les réfugiés du “Patria”. Mieux vaut, tout compte fait, que
les Juifs meurent, si on ne peut les importer en Israël.”
Beit-Tsvi retrace ensuite les efforts déployés par les Juifs orthodoxes
américains, en octobre 1943, auprès du président Roosevelt et à
Washington, afin de solliciter de l’aide en vue de sauver les Juifs
d’Europe en danger de mort. Ces efforts furent sabotés par les
sionistes, qui firent tout pour dissuader Roosevelt de recevoir la
délégation des Juifs orthodoxes, afin de n’avoir à partager avec nul
autre l’influence et la confiance dont ils jouissaient auprès du
président américain.
C’est poussé par des événements plus contemporains que Beit-Tsvi s’est
attelé à l’écriture de son ouvrage, en 1975. A cette époque, Israël et
l’establishment sioniste menaient une guerre acharnée pour la fermeture
des portes de l’Amérique devant les Juifs soviétiques candidats à
l’émigration ; guerre qui ne fut finalement couronnée de succès qu’en
octobre 1989. Comme aux jours de la seconde guerre mondiale, les
sionistes déniaient aux Juifs le droit de choisir : ils devaient
obligatoirement venir vivre en Israël. A cette fin, ils ne reculaient
devant absolument rien : ni devant l’attisement des braises de
l’antisémitisme dans des pays où vivaient des communautés juives, ni
devant le harcèlement des états qui se seraient montrés enclins à
accueillir des émigrants juifs sur leur territoire...
Ce court article aura deux conclusions. Le premier sera consacré au
problème plus général de la relations historique entre les sionistes et
les nazis. Le sionisme, en particulier son aile droitière (celle qui
gouverne, actuellement, en Israël) a toujours su trouver un terrain
d’entente avec le fascisme. Au cours des dernières décennies, cela s’est
manifesté à travers l’assistance militaire et technologique apportée par
Israël aux régimes militaro-fascistes d’Amérique Latine, du chilien
Pinochet jusqu’aux coupe-jarrets du Salvador, ou, un peu avant, son
union d’action avec Jacques Soustelle et l’OAS, qui fut à l’origine du
divorce entre les sionistes et la France de de Gaulle. Notons que
jusqu’à la seconde guerre mondiale, les membres des organisations
sionistes de droite étaient des admirateurs de Mussolini, auquel ils
avaient offert leur assistance dans sa guerre contre l’Angleterre.
Avec les nazis d’Hitler, les sionistes ne trouvèrent pas de terrain
d’entente, et l’histoire n’a pas encore établi l’existence éventuelle de
contacts entre les sionistes et les hitlériens, à la notable exception
des exploits célèbres de Kastner et Brand, deux émissaires sionistes en
Hongrie, qui passaient du bon temps en compagnie d’Eichman et Vislitsen.
Et bien qu’ils aient fait objectivement le jeu des nazis, en convenant
avec eux de passer sous silence l’extermination des Juifs de Hongrie, en
échange de promesses mensongères d’Eichman et de nombreuses
autorisations de sorties pour leurs proches, ils ne se sentaient pas,
bien entendu, subjectivement nazis. Dans les années soixante, le Dr
Kastner intenta un procès contre un journaliste israélien qui l’avait
démasqué et dénoncé, mais le procès ne fit que confirmer la véridicité
de cette dénonciation et un Juif hongrois le dessouda en pleine rue.
(L’affaire Kastner donna la trame d’une pièce anglaise qui fit
sensation. Cette pièce prenait pour cadre le ghetto. Elle suscita des
débats judiciaires en Angleterre, où elle fut interdite de scène
finalement, sous la pression des sionistes. Elle ne put être que
publiée, et encore, “à compte d’auteur”...
Toutefois, ce dont Beit-Tsvi accuse les sionistes, c’est d’indifférence
envers les victimes, et (certainement) pas de liens directs avec les
nazis, liens dont certains propagandistes de l’antisionisme soutiennent
qu’ils ont existé.
Le seconde conclusion a trait à l’histoire des Juifs d’Irak, qui
démontre que même durant les années d’après-guerre, les sionistes n’ont
reculé devant rien afin d’atteindre leurs buts et n’ont pas épargné
‘leur propre peuple’. Cette histoire est décrite en détail par un
journaliste israélien célèbre, du nom de Tom Segev, dans son ouvrage
intitulé “1949", auquel il faut ajouter le livre “Le Fusil et le rameau
d’olivier “, écrit par le correspondant au Moyen-Orient du journal
britannique ‘Guardian’, David Cherst (éditions Faber & Faber, 1977).
L’émigration en masse des Juifs d’Irak avait été obtenue par le recours
à une escalade d’explosions de plus en plus puissantes dans les
synagogues de Bagdad. Avec le temps, il s’avéra que les attentats
étaient réalisés par des agents des services de renseignement
israéliens. Un autre facteur puissant avait été une campagne de
communiqués incessants publiés dans la presse américaine pro-sioniste au
sujet “des pogroms menaçants” en Irak (cela évoque puissamment les
discours sur les pogroms imminents, en Russie, en 1990 !). Sasson
Kadduri, grand rabbin d’Irak, a écrit dans ses mémoires : “Vers la
mi-1949, une guerre de communiqués se déchaîna en Amérique, et ce
n’était pas une plaisanterie. Les dollars américains devaient sauver les
Juifs irakiens, sans égard à la question de savoir s’ils avaient besoin
d’être sauvés... Tous les jours, il y avait des pogroms, certes, mais...
uniquement dans les pages du New York Times, dans les dépêches provenant
de Tel Aviv ! Pourquoi ne nous a-t-on jamais rien demandé ? Nous leur
aurions dit, nous ! En Irak, des agents sionistes commencèrent à se
manifester, suscitant des tensions dans le pays et promettant monts et
merveilles aux Juifs irakiens. Des efforts en vue d’obtenir
l’autorisation d’une émigration massive commencèrent à être déployés, on
commença aussi à accuser le gouvernement irakien de ‘persécuter les
Juifs’.
Finalement, sous la pression des manifestations et du boycott
commercial, le gouvernement irakien capitula et publia un décret
autorisant une émigration massive des Juifs, ce qui revenait
pratiquement à les chasser du pays. Inutile de dire qu’en Israël, les
Juifs irakiens ne trouvèrent pas les merveilles qu’on leur avait fait
miroiter, mais une situation sociale difficile.” Ainsi, le sionisme
avait démontré, une fois de plus, son visage brutal, conclut David
Cherst.
Ainsi, il est toujours intéressant de se remémorer l’histoire, en ces
journées de juin, et il est encore beaucoup plus important encore de
rafraîchir la mémoire de ceux qui auraient une (fâcheuse) tendance à
l’oublier...