Les chasseurs de vampires
par Israël Shamir
(Israël Shamir
est un éminent journaliste et écrivain juif israélien, d'origine russe.)
Jaffa, le 14
mars 2001 - Les histoires de vampires donnent à leurs lecteurs de
nombreuses recettes, au cas où ils seraient victimes d'une attaque
macabre. La poignée de terre de cimetière fait partie des remèdes courants,
il est recommandé d'avoir un chapelet de gousses d'ail toujours à portée
de main, et le crucifix est souverain. Mais ces remèdes ne marchent pas
toujours. Dans la comédie d'horreur de Roman Polansky, "Les chasseurs de
vampires", le héros essaie de mettre en déroute un vampire juif en faisant
le signe de la croix. Le vampire juif lui sourit d'une manière qui en dit
long, venue tout droit du Violon sur le Toit, en montrant ses crocs : la
croix ne l'impressionne absolument pas. Ce film de Polansky me revient à
l'esprit au moment où je me penche sur la nouvelle vague de controverses
au sujet de l'Holocauste.
Les "historiens
révisionnistes", que leurs adversaires considèrent comme des "renégats de
l'Holocauste", tiennent actuellement une conférence à Beyrouth afin d'y
comparer leurs informations sur le génocide nazi. L'establishment juif
américain, notamment l'organisation sioniste américaine (ZOA, Zionist
Organization of America) et la Ligue Anti-Diffamation, a exigé que cette
conférence soit condamnée. La ZOA n'a rien contre le révisionnisme en tant
que tel. C'est même cette organisation qui est pionnière dans l'art de
renier l'histoire, puisqu'elle a commis, aux frais du contribuable américain,
un opuscule intitulé : "Deïr Yassin : Histoire d'un mensonge".
Deïr Yassin, c'est ce
paisible village que les groupes juifs terroristes Etzel et Lehi avaient
attaqué, le 9 avril 1948, en massacrant toute la population : hommes, femmes
et enfants. Je ne rappellerai pas ici l'histoire sanglante des oreilles
tranchées, des entrailles répandues, des femmes violées, des hommes brûlés
vifs, des corps jetés dans une carrière ni la parade triomphale des
meurtriers. D'un point de vue existentiel, tous les massacres sont
semblables, de Babi Yar à Chain Gang en passant par Deïr Yassin.
Les révisionnistes
de la ZOA ont utilisé toutes les méthodes de leurs adversaires, les "dénégateurs"
: ils rejettent les récits des témoins oculaires survivants, de la Croix
Rouge, de la police britannique, des scouts israélites et des autres
observateurs juifs, qui ont assisté à toute la scène. Ils occultent même les
excuses présentées par Ben Gurion, puisqu'aussi bien les chefs de ces gangs
étaient devenus, à leur tour, premiers ministres de l'Etat juif. Pour la ZOA,
seuls les témoignages des meurtriers pourraient avoir quelque validité. (Sous
réserve que ces meurtriers soient juifs).
Si les victimes sont des
Juifs, alors ces même organisations sionistes américaines n'épargnent aucun
effort pour défier le révisionnisme. Cette position douteuse sur le plan
moral a sans aucun doute apporté beaucoup d'eau au moulin des congressistes
de Beyrouth. A suivre leur logique défectueuse, si les Israéliens racontent
des salades sur ce qui s'est réellement passé en 1948, peut-être les
souvenirs juifs sur l'Holocauste sont-ils tout aussi fallacieux. C'est de
l'énergie gaspillée. Bien entendu, ils ont marqué quelque points et les
récits de graisse humaine transformée en savonnettes ou les fours ardents de
Wiesel ont été remisés au placard. Si seulement mille Juifs ou Gitans
avaient été assassinés par les nazis, cela serait un millier de trop. Ce
n'est pas du tout une question primordiale, la définition même de qui est
une victime donnant en elle-même lieu à interprétation.
Un bon exemple de "définition
de la victime" a été donné dans le journal Ha-Aretz du week-end dernier...
Lorsque la guerre du Golfe prit fin, en 1991, on ne relevait qu'une unique
victime israélienne de la guerre. Aujourd'hui, il y a, officiellement, cent
Israéliens qui sont reconnus victimes de la guerre du Golfe, et leurs
descendants et collatéraux perçoivent une pension aux frais de l'Irak.
Certaines de ces victimes sont mortes du fait du stress, d'autres, n'ayant
pu retirer leur masque à gaz, sont mortes étouffées. L'article d'Ha-Aretz
soutient qu'un nombre, beaucoup plus important, de plaintes ont été
déclarées irrecevables par les autorités israéliennes. C'est pourquoi
Michael Elkins, ancien correspondant de la BBC à Jérusalem, citoyen
israélien, est parfaitement fondé à affirmer que le nombre des victimes (de
l'Holocauste), savoir s'il y a eu trois - ou six - millions de morts, n'est
pas le vrai problème.
Les "révisionnistes" ont
mis en jeu leurs vies et leur fortune en tentant de démolir ce qu'ils
appellent le "mythe de l'holocauste". On peut comprendre leur intérêt.
Aujourd'hui, n'importe qui peut mettre en doute ouvertement l'Immaculée
Conception ou (pourquoi pas) défier les mythes fondateurs d'Israël. Mais le
culte de l'Holocauste jouit d'un interdit exorbitant, qui a force de loi,
frappant toute enquête qui pourrait être de nature à jeter un doute sur son
dogme sacré. Les dogmes ont le don d'attirer les esprits critiques.
Toutefois, derrière cette muleta écarlate, les cornes du taureau chargeant
ne transpercent que du vide. Les disputes sur les chambres à gaz et la
production de savon sont peut-être fort intéressantes, mais elle sont
complètement hors-sujet. Et si on s'intéressait au matador ?
Une avancée
courageuse a été effectuée par le Dr Norman Finkelstein dans son ouvrage
best-seller "l'Industrie de l'Holocauste". Toutefois, il y a une différence
importante entre le Dr. Finkelstein et les "historiens révisionnistes"
rassemblés à Beyrouth. Le Dr. Finkelstein, fils de survivants de
l'holocauste, s'est gardé de toute bataille de chiffres illégale et s'est
focalisé sur la construction idéologique du culte de l'Holocauste.
Et il a drôlement bien
fait. Une organisation juive, appelée "Avocats Sans Frontières" a même été
jusqu'à lui intenter un procès, en France. Ces avocats ne s'étaient
absolument pas manifestés, quand la machine légale israélienne avait
prononcé une peine probatoire -dérisoire - de six mois, à l'encontre du
meurtrier juif d'un enfant non-juif. Ils n'avaient pas remué le petit doigt
lorsque la jeune Suad, quinze ans, placée en isolement total et victime de
tortures psychologiques, s'était vu refuser toute assistance juridique. Ils
brillent par leur absence dans les tribunaux militaires israélien où un
simple officier juif peut prononcer une sentence d'emprisonnement à vie
contre un civil non-juif, condamnation "fondée" sur des présomptions tenues
secrètes. Apparemment, ces avocats-là connaissent les bornes à ne pas
dépasser...
Finkelstein s'est mis en
tête d'explorer le secret de notre charme juif discret, un charme qui ouvre
les coeurs américains et les coffres des banquiers suisses. Sa conclusion
est que nous y arrivons en faisant appel aux sentiments de culpabilité des
Européens et des Américains. "Le culte (1) de l'Holocauste a montré qu'il
était une arme idéologique irremplaçable. En la déployant, l'une des
puissances militaires les plus redoutables du monde entier, avec un palmarès
horrifiant en matière de droits de l'homme, s'est donnée pour un
Etat-victime, et le groupe ethnique le plus parvenu aux Etats-Unis a acquis
le statut de victime". Finkelstein procède à une analyse brillante du culte
de l'Holocauste, et aboutit à une découverte bouleversante : ce n'est qu'une
construction chancelante de quelques clichés cousus du fil blanc de la voix
geignarde d'Elie Wiesel, depuis sa luxueuse limousine, qu'il ne quitte pas.
Finkelstein n'a pas
pleine conscience de l'importance de sa découverte, puisqu'il croit encore
que le culte de l'Holocauste est un grand concept, venant tout juste après
l'invention de la roue. Il a permis de résoudre le problème éternel des
riches et des puissants, celui de se défendre contre l'envie et la haine des
pauvres et des exploités. Il a permis à Mark Rich et autres escrocs de
tricher et de voler, il a permis à l'armée israélienne d'assassiner des
enfants et d'affamer des femmes impunément. Son opinion est partagée par de
nombreux Israéliens. Ari Shavit, éditorialiste connu du journal Ha-Aretz,
l'a exprimé excellemment en 1996, quand l'armée israélienne avait tué plus
de cent civils réfugiés à Cana, au Liban : "Nous pouvons assassiner en toute
impunité : le musée de l'Holocauste, c'est bien chez nous ?". Boaz Evron,
Tom Segev et d'autres essayistes israéliens ont développé cette même idée.
On peut résumer la
thèse du Dr Finkelstein comme suit. Les Juifs ont réussi à résoudre la
quadrature du cercle, ils ont résolu le problème qui résistait à
l'aristocratie et aux millionnaires ordinaires. En substance : ils ont
réussi à désarmer leurs ennemis en faisant appel à leur compassion et à leur
complexe de culpabilité.
J'admire le Dr.
Finkelstein de continuer à croire en la bonté de coeur de l'Homme, son
semblable. J'aurais aussi tendance à penser qu'il croit encore aux contes de
fées. A mon humble avis, les sentiments de compassion et de culpabilité
peuvent, à la rigueur, vous procurer un bol de soupe gratis. Mais pas un
nombre incalculable de milliards de dollars. Le Dr. Finkelstein n'est pas
aveugle. Il a remarqué que les Gitans, autres victimes des nazis, ont reçu
des queues de cerises de la part de la "compatissante" Allemagne. La
capacité étonnante qu'ont les Américains à se sentir collectivement
coupables vis-à-vis de leurs victimes vietnamiennes (5 millions de morts, un
million de veuves, plusieurs équivalents des bombardements de Coventry, avec
une louche supplémentaire d'agent Orange), s'est traduite, récemment, par
les propos suivants, dans la bouche du Secrétaire à la défense William Cohen
: "Il n'y a pas lieu de présenter des excuses (et a fortiori des
dédommagements). Une guerre est une guerre". Bien que disposant de toute
l'information disponible, le Dr. Finkelstein, s'entêtant à vouloir faire
peur au vampire, se cramponne à son crucifix...
Quelle est la source
d'énergie qui fait fonctionner l'industrie de l'Holocauste ? Ce n'est pas
une question oiseuse, ni théorique. La fabrication d'une nouvelle tragédie
palestinienne bat actuellement son plein, avec le lent étouffement des
villes et villages de Palestine. Chaque jour, un arbre est déraciné, une
maison est démolie, un enfant est assassiné. A Jérusalem, les Juifs
célèbrent Pourim en faisant un pogrom de Gentils, et cela fait un entre-filet
à la page six des quotidiens locaux. A Hébron, les fans de Kahane ont
célébré Pourim devant la tombe de l'assassin en masse Goldstein. Ce n'est
vraiment pas le moment de faire sa chochotte.
Dans "Les Sirènes", le
personnage Bloom exprime les sentiments de son créateur James Joyce envers
le concept sanglant de libération irlandaise en lâchant un pet en direction
de l'épitaphe d'un combattant pour la liberté de l'Irlande. Mes grands-parents,
mes tantes et oncles sont morts durant la Deuxième guerre mondiale. Mais je
jure, sur leur mémoire, que si j'avais le moindre doute que les sentiments
de culpabilité autour de l'Holocauste devaient causer la mort d'un seul
enfant palestinien, je transformerais immédiatement le mémorial de
l'Holocauste en pissotière.
Le pathos du culte de
l'Holocauste et la facilité avec laquelle il réussit à pomper des milliards
sont les preuves tangibles de l'existence d'un réel pouvoir derrière cette
industrie. Ce pouvoir est obscur, invisible, ineffable, mais bien réel. Il
ne s'agit pas d'un pouvoir dérivé de l'Holocauste. C'est l'inverse : le
culte de l'Holocauste correspond à l'étalage des muscles de ceux qui
exercent le pouvoir réel. C'est pourquoi tous les efforts des révisionnistes
sont peine perdue. Les gens qui font la promotion de ce culte pourraient
faire la promotion de n'importe quoi, étant donné qu'ils dominent
complètement tout discours public. Le culte de l'Holocauste est juste une
manifestation, à petite échelle, de ce dont ils sont capables. Les épigones
de ce Pouvoir, confrontés aux révélations du Dr. Finkelstein, se
contenteraient vraisemblablemnt d'esquisser un sourire entendu...
(1) Le Dr. Finkelstein
établit une distinction entre l'"holocauste", l'événement historique, et
l'"Holocauste" (avec H majuscule), qui en est la conceptualisation
idéologique. Je prends dans ce texte la liberté de renommer ce concept "culte
de l'Holocauste", dans un souci de plus grande clarté.
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]