Déconstruction de la judéité
par Israël
Shamir, 13.01.2002
Chers amis,
cette fois, je vous fait part d’une nouvelle réaction, d’un universitaire
français, le professeur N., à un article publié dans le quotidien La Presse,
de Montréal, au sujet d’une de mes conférences au Canada (Vous trouverez cet
article à la fin de ce courrier).
Les citations
soulignées sont tirées de la lettre du professeur N. (il m’a demandé de
ne pas la rendre publique, sinon je l’aurais retranscrite dans son
intégralité). Elle aborde certaines questions très importantes, et
j’espère que cela vous intéressera.
Cher Monsieur
Shamir,
j’espère que vous ne m’en voudrez pas pour mes propos quelque peu
brutaux. Mon intention, en vous écrivant n’est ni de vous heurter, ni de
vous offenser...
Cher
Professeur,
j’ai eu grand plaisir à lire votre honorée. Comme on le dit souvent, les
critiques d’un honnête homme sont préférables aux flatteries d’un sot.
Mais ne dit-on pas, aussi : envoyez un homme intelligent sur les roses,
si nécessaire, il vous en saura gré. C’est dans cet esprit que je lis
vos commentaires et que j’y réponds.
Lorsque j’ai
découvert, en parcourant le forum de discussion “togethernet”(sur
Internet) que vous étiez un Juif russe, les bras m’en sont tombés.
Comment donc est-il possible qu’un Juif russe et le parent d’un officier
SS puissent partager la même position sur l’Etat d’Israël ?
Quelqu’un peut être le descendant d’un officier SS, cela ne m’effraie
pas. Les pères ont mangé les raisins verts, etc... Mon oncle Daniel
était le chef du NKVD (la Sécurité d’Etat) à Vilnius, après la guerre
et, d’après les Lithuaniens, il s’est rendu responsable de beaucoup
d’exécutions et de déportations. Ils prononçaient son nom avec la même
horreur qu’un Juif prononcerait le nom d’Eichmann. Mais j’ai de lui le
souvenir d’un homme gentil et très cultivé (il était diplômé en
architecture de l’Université de Bruxelles). J’aime son fils. J’aime ses
petits-enfants. Mon premier amour fut pour une jeune fille russe ; elle
était la fille du kapo d’un camp de travail de Staline. J’ai servi, dans
l’armée israélienne, sous les ordres directs d’un certain Ariel Sharon.
Mon pote de régiment a abattu des prisonniers désarmés : il croyait que
je ne le voyais pas. Aucun doute là-dessus, les Nazis étaient horribles.
Mais je pense qu’il ne faudrait pas les démoniser au point d’exclure
jusqu’à leurs enfants de tout commerce. Je me demande une chose : si les
Nazis avaient laissé les Juifs tranquilles, aurions-nous les mêmes
sentiments à leur égard ? S’ils avaient maltraité, disons, (uniquement)
les Biélorusses, les Polonais, les Lithuaniens ? Je n’en suis pas si sûr.
John Sack a écrit sur un homme du NKVD, juif, accusé d’exécutions en
masse. Les Polonais avaient demandé son extradition, mais Israël les
envoya balader de deux mots : “des clous”. Pour moi, les Juifs et les
non-Juifs sont exactement les mêmes ; nous sommes tous les fils d’Adam.
C’est pourquoi je suis totalement incapable d’avoir des sentiments
différents vis-à-vis d’un tueur de Juifs et d’un tueur juif...
Par-dessus le
marché, vous comparez la politique des gens au pouvoir, dans votre pays,
avec celle des nazis... Et alors ? Vous aussi, vous vous exprimez bien à
partir d’une position partagée par des idéologues nazis et des
activistes nazis ?
Ma position
est à l’opposé de ce que vous dites. Les nazis allemands croyaient en la
supériorité de (l’ensemble de) leur race, alors que les suprématistes
juifs croient en leur supériorité (à eux). Moi, je rejette toute
supériorité, qu’elle soit de race, de croyance, de nationalité, etc.
Alors que la dispute entre nazis et Juifs était de décider qui était
l’Elu, moi, je rejette les deux prétentions. Si je rejette la
revendication du trône par les Bourbons, cela fait-il de moi un
bonapartiste ?
Votre
crédibilité est nulle !
“Crédibilité”
n’est pas un terme neutre. La “crédibilité” est décernée par les Maîtres
du Discours : les universitaires chantres des divers gouvernements, le
New York Times, et ses équivalents ailleurs dans le monde. C’est tout un
système qui accorde, ou non, la “crédibilité”. Naturellement, je ne suis
pas l’heureux titulaire de cette “crédibilité” patentée, et je ne la
recherche aucunement. Je combats les Maîtres du Discours, pour la
liberté de parole.
Pour être “crédible”,
il faut faire attention à ne pas dépasser la ligne (imposée). J’ai cessé
d’être “crédible” en 1990, lorsque j’étais journaliste à Moscou. Mes
collègues, correspondants de journaux occidentaux en poste à Moscou,
écrivaient des tas d’articles sur l’antisémitisme grandissant, sur les
pogroms annoncés et sur le parti (d’extrême droite) Pamyat. J’ai trouvé,
pour ma part, que les membres de l’effrayante conspiration Pamyat se
comptaient sur les doigts de la main, qu’il n’y avait ni antisémitisme
ni, encore moins, de pogroms en Russie, mais beaucoup de vent brassé par
les services secrets israéliens. J’ai perdu ma “crédibilité”, parce que
je n’ai pas imité les journaux occidentaux qui faisaient leurs gros
titres sur l’antisémitisme russe et des pogroms soi-disant menaçants. En
réalité, il n’y avait ni pogroms ni aucune forme de persécution. La
Russie était (elle l’est encore) gouvernée par des Premiers ministres
juifs, et Israël est sans doute devenu le modèle à suivre pour les
Russes (au pouvoir), à voir ce qu’ils font en Tchétchénie.
J’étais prêt à
vous accorder le bénéfice du doute, vous n’étiez pas censé savoir que
l’un des participants à votre groupe de discussion était un antisémite
notoire...
Cela ne
m’aurait effrayé en rien, pour deux raisons. Premièrement, on pourrait
trouver à redire aux “antisémites invétérés”, qui n’ont fait en
définitive qu’encourager un discours juif anti-gentil particulièrement
détestable, mais il n’y en a plus : ils ont complètement disparu. A
l’heure actuelle, les “antisémites” sont les gens qui ont quelque chose
contre le particularisme juif ou une influence juive excessive. Ils ne
haïssent pas les Juifs en tant que tels. Devrions-nous mettre à l’index
Dostoïevsky et T.S. Elliott, André Gide et Jean Genet, Toynbee et
Gumilev ? Ils sont très souvent qualifiés d’”antisémites notoires”, mais
leur rejet du particularisme juif (ou, si vous préférez, des
“spécificités nationales juives”) n’était pas une question de “préjugé”.
Le particularisme juif doit être équilibré par d’autres systèmes de
valeurs, car c’est bien un manque d’équilibre et de mesure qui est à
l’origine de la situation tragique du monde, aujourd’hui.
La seconde
raison est plus importante. Le succès des sionistes s’est construit sur
leur collusion avec les antisémites. Le Jacques Soustelle de l’OAS, le
Lord Balfour de la Déclaration, le Pat Robertson de la Majorité
chrétienne n’aim(ai)ent pas les Juifs, ils n’en étaient/sont pas moins
entichés d’Israël. Des antisémites notoires ont sympathisé avec les
sionistes, et vice-versa. De cette union est issu un rejeton monstrueux
: les amants évangéliques d’Israël, qui aspirent à l’Armageddon (la fin
du monde, ndt). Nous devons absolument briser la fascination sioniste.
Vous pensez
que nous devons, nous les Juifs, cesser d’exister en tant que nation
indépendante...
Nous devons
choisir. Anciennement, les Juifs ne prétendaient pas être autre chose
que des Juifs ; tandis que certains Juifs, de nos jours, veulent
conserver leur dualité. Toutefois, vous ne pouvez pas manger un gâteau
et toujours avoir ce gâteau, éternellement. A partir du moment où l’Etat
juif est bien là, il urge de sérier nos priorités. Pour moi, un Juif
français est français ; un Juif russe est russe. Nous pourrions
parachever l’oeuvre, interrompue, d’Emancipation, et nous intégrer dans
nos sociétés respectives. Avoir des origines juives serait aussi
respectable que d’avoir des origines irlandaises, bien que ça n’apporte
pas beaucoup d’avantages, à en juger par mes amis irlandais.
L’alternative est trop effroyable à envisager.
Vous dites que
ce que nous faisons (subir) aux Palestiniens confirme que c’est nous,
les méchants...
Je dis cela,
en effet, mais pas seulement. J’affirme aussi que ceux qui nous
soutiennent sont des salauds, eux aussi.
Vous dites que
notre seul salut est d’être asservis, dominés, tyrannisés, dispersés...
Non, non et encore non ! Notre seul salut est dans l’égalité. Abandonnez
cette approche manichéenne : il est possible de vivre égaux et non pas,
nécessairement, opposés entre dominants et dominés.
Votre flirt
avec le Coran et l’Islam équivaut à l’adulation des potentats arabes
Il faut être véritablement déconnecté de la réalité pour considérer que
les Arabes sont une race de seigneurs. Ils sont la victime persécutée du
discours raciste, seul autorisé par les Maîtres. Les Arabes, je les aime
bien, aussi, parce que ce sont de bons voisins.
La Bible (Ancien
Testament) est un héritage humain produit par différents auteurs.
Comment pouvez vous avoir aussi peu d’égards pour ces gens qui ont
médité, se sont colletés à toutes sortes de problèmes existentiels, et
qui ont transmis le fruit de leur méditation à la postérité ?
Le fait que
les Juifs aient survécu, à travers tous ces siècles de persécution
agissante et virulente en Europe et dans le monde musulman devrait vous
donner une indication sur la capacité de notre tradition à assurer la
survie et à surmonter les vicissitudes.
Vous faites de
quatre questions une seule, mais je vais démêler l’écheveau. J’aime la
Bible, comme sans doute toute personne parlant l’hébreu. C’est un livre
complexe, et ce n’est pas un sujet dont on puisse parler légèrement. Il
renferme aussi bien une merveilleuse poésie qu’un poison dangereux. Ce
poison a trouvé son contre-poison dans le Nouveau Testament et dans le
Coran, etc. Quiconque boirait ce poison pur serait susceptible de
commettre de nombreux crimes, y compris le génocide. Au 2ème siècle,
Markion rejetait ce poison avec horreur et il déclarait que le dieu des
Juifs était Satan. Au 20ème siècle, les marxistes firent à peu près la
même chose. Pour ma part, je dirai ceci : l’Ancien Testament devrait
être considéré comme un magnifique sabre effilé, et traité avec des
précautions infinies.
Aujourd’hui,
notre religion juive est autre chose. Elle n’est pas basée sur la Bible
hébraïque, mais sur la Mishna et le Talmud. Ce sont là deux ouvrages
littéraires passionnants, eux aussi. Personnellement, j’en suis friand.
Mais j’ai conscience de leurs failles morales. Ils ont été écrits en
réaction au Christianisme, à partir de la fin du premier siècle après
Jésus-Christ. Ils ont fait leur office, et ils ont pratiquement perdu
toute validité, aujourd’hui. Cela n’a pas beaucoup de sens de disputer
de ce sujet.
La
persévérance des Juifs, c’est encore autre chose. Votre approche se
fonde sur une mauvaise interprétation du passé juif. Bien sûr, nous
aimons à répéter que nous avons été persécutés et humiliés. Mais ne
prenez pas ces propos pour argent comptant. N’oubliez pas ceci : les
Juifs appartenaient - et appartiennent toujours - aux classes
privilégiées. Abram Leon, un jeune marxiste juif, mort à Auschwitz (vous
connaissez sans doute le livre qu’il a écrit, puisqu’il a été traduit en
français, avec une préface de Maxime Rodinson), a établi qu’un noble
polonais qui aurait voulu devenir usurier, aurait été obligé de se
convertir au judaïsme, tandis qu’un Juif désireux d’intégrer
l’aristocratie terrienne aurait absolument dû se convertir, au préalable,
au christianisme. Le choix n’était pas évident, beaucoup plus pour des
raisons pratiques qu’en raison de considérations religieuses.
La judéité
n’est pas un phénomène basé sur la religion. En Espagne, des crypto-juifs
ont vécu comme des chrétiens (extérieurement) pendant quatre siècles,
mais en conservant leur particularisme et leurs domaines réservés
corporatistes. Aujourd’hui, la majorité des Juifs, en Israël autant
qu’ailleurs, ne sont absolument pas religieux. La judéité, c’est affaire
de exclusivisme et de privilèges.
On pourrait
tout aussi bien présenter l’histoire de l’aristocratie française comme
une histoire faite de “persécutions virulentes et en actes”. Il y a
tellement d’aristocrates qui ont été guillotinés, à partir de 1793. (Plusieurs
siècles avant cela, ) beaucoup d’entre eux sont morts sur les champs de
bataille, à Crécy ou à Poitiers... Il n’en reste pas moins que
l’histoire des nobles n’est pas faite que de souffrances. En effet, ils
jouissaient de beaucoup de privilèges, aussi. Mais, si les nobles ont
perdu leurs privilèges, les Juifs ne renoncent pas aux leurs.
Votre
conférence à McGill m’a confirmé dans mon intuition qu’en dépit de votre
faconde vous êtes un Juif égaré, qui a perdu de vue sa propre tradition,
et qui avance à tâtons dans le noir. Votre intervention m’a finalement
poussé à réagir et à vous écrire. Vous êtes en train de détruire, de
déchirer en morceaux ce que les dirigeants israéliens de la précédente
génération ont essayé d’édifier. Votre conférence à McGill était
symptomatique de votre oeuvre de déconstruction. Le grand historien
anglais Arnold Toynbee, dont j’admire la profondeur des vues sur maints
sujets, n’était pas indemne, malheureusement, de traces d’antisémitisme
et d’antisionisme. Il voyait dans le judaïsme une “fossilisation” et
remettait en cause l’existence même de l’Etat d’Israël. Le 31 janvier
1961, cette même université, McGill, avait organisé un débat public
entre Toynbee et Yaacov Herzog, ambassadeur d’Israël au Canada, sur
l’essence de l’histoire juive et “l’identité morale” de l’Etat d’Israël.
Aujourd’hui, Toynbee incarne ce à quoi vous aspirez : amener les Anglo-américains
à abandonner leur engagement envers Israël, à cesser de le soutenir
économiquement et militairement. J’ai bien peur que vous ne réussissiez.
Les vents du changement semblent, en effet, en train de se lever. Si
cela advient, tous les Saddams du monde élimineront tant d’Israël que
l’Europe et l’Occident “chrétien” (bien que nous ne soyons plus
chrétiens depuis le dix-neuvième siècle) de la surface du globe. Vous
pouvez en être certain. Je ne suis pas surpris que vous soyez venu à
McGill, précisément. Vous êtes bien trop avisé pour ne pas profiter de
ce précédent historique.
Cher
professeur, vous êtes trop gentil. Le personnage central des Récits
d’Ise, grande fresque poétique japonaise du neuvième siècle, compare sa
dulcinée - une paysanne - à un pin. Il veut dire, ce faisant, d’une
manière allusive, qu’elle est frustre comme un arbre. Mais il se trouve
qu’elle, elle adore les pins et la comparaison la flatte. Au risque de
sembler, comme cette paysanne nippone, me méprendre, je suis tellement
admiratif pour Toynbee que je ne peux que répéter : merci, Professeur,
vous me flattez...
Oui, en effet
: l’entente entre les Anglo-américains et les Juifs doit cesser. Ces
deux exclusivismes sont entrés dans une résonance qui pourrait bien
mettre à notre univers un terme prématuré. Un chat est adorable, tant
qu’il n’a pas atteint la taille d’un tigre. Les Anglo-américains ont
conclu un pacte qui leur a apporté la prospérité. Mais aujourd’hui, ils
doivent le payer très cher. Cette prospérité a été acquise grâce à une
pyramide de surévaluation du dollar et de spéculation financière. En
effet, 90 % des transactions financières, aux Etats-Unis, sont de nature
spéculative. Pour couvrir ce montage financier pyramidal, les Anglo-américains
intimident le monde entier avec leurs armes de destruction massive. Les
gens comme vous et moi, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, n’en
retirent aucun avantage, loin de là. En Angleterre, les enfants vivant
au-dessous du seuil de pauvreté sont trois fois plus nombreux qu’au jour
où Margaret Tchatcher a accédé au pouvoir. Aux Etats-Unis, il y a des
millions d’enfants mal nourris et sans abri. De nombreux Juifs
américains poussent à la roue pour la destruction de la patrie d’Abraham,
l’Iraq. Voilà quels sont, entre autres, les résultats de cette alliance.
Arnold Toynbee
ne pouvait prévoir, en 1961, que seulement quelques années plus tard, le
“fossile” reprendrait vie, trop de vie. Il ne vit jamais le film de
science-fiction Alien, dans lequel un fossile congelé devient une source
de danger apocalyptique. Les penseurs juifs qui étaient ses
contemporains pensaient, eux aussi, que la juiverie était engagée sur la
voie de sa disparition. Il ne s’agissait que de la pré-condition de (leur)
émancipation, après tout. Mais ce n’est pas du tout ce qui s’est passé.
Pour moi, il
faut que cela advienne. Cela ne pourra être que bénéfique pour les
descendants des Juifs, et pour l’ensemble de l’humanité. Jacques
Derrida, un descendant des crypto-juifs espagnols (les Marranes, ndt), a
introduit en France le concept de déconstruction. Aujourd’hui, il est
grand temps d’amener la déconstruction chez nous et de déconstruire la
judéité.
Voici
maintenant l’article publié dans La Presse, important quotidien de
Québec :
Israël Shamir, qui préconise la création d’un Etat unique, pour les
Palestiniens et les Israéliens, affirme : “On dirait que les sionistes
veulent absolument démontrer que ce que les antisémites ont pu dire au
sujet des Juifs est vrai. Tout un chacun peut constater, quotidiennement,
le désir qui est le leur de continuer à dominer et à spolier le monde.”
par Jooneed Khan
“Je suis né en
Israël, et je suis partisan du parti au pouvoir, contrairement à vous.
Pensez-vous que le peuple juif a droit à sa terre ancestrale ?” demande
le premier participant à avoir réussi à s’emparer du micro baladeur,
inaugurant le débat, après l’exposé de M. Shamir.
“Habitez-vous
à Montréal ?”, lui demande, à brûle-pourpoint, le conférencier.
“Oui...”
“Abandonneriez-vous votre maison, si les indigènes (indiens) vous
demandaient de leur rendre leur territoire ?”, lui rétorque Israël
Shamir, suscitant une ovation debout.
Atypique, cet Israël Shamir : la cinquantaine, mathématicien et juriste,
journaliste et écrivain, ce Juif venu des glaces de la Sibérie irrite
même le pacifiste israélien pur-sucre, avec son leit-motif “un homme,
une voix : fin de l’apartheid”, alors que les pacifistes, eux, se font
les hérauts d’une solution “à deux Etats”...
Il est même
parvenu à déranger les Arabes des Etats-Unis, tout du moins ceux qui
militent pour la paix avec des pacifistes juifs. Ils craignent que sa
critique impitoyable du sionisme ne finisse par verser dans
l’antisémitisme, et ils se méfient de lui...
Devant une
assistance de plus de deux cents personnes, qui remplissait
l’amphithéâtre de l’Université McGill, ce père de famille devenu une
célébrité d’Internet (www.israelshamir.net)
a exposé son évaluation de l’incontrôlable conflit israélo-palestinien.
“Je n’ai pas
de réponse à toutes les questions (à ce sujet) ; cela serait
présomptueux de ma part. J’ai ma propre opinion, et c’est la seule chose
que je puisse vous apporter”, avait-il averti, en introduction, dans un
anglais agrémenté d’expressions évoquant sa Russie natale, avec une
élocution toujours assurée, toute de phrases denses émaillées de mots
d’esprit.
Pour Israël
Shamir, qui vit à Jaffa, ce conflit découle de l’”exceptionnalisme juif”,
de l’idée (qu’ont les Juifs) d’être “le peuple élu”, un peuple différent
de tous les autres. Cette idée a été développée après la fin du judaïsme
biblique, a-t-il expliqué, en se référant à Yosef Yoval, un professeur
de l’Université Hébraïque (de Jérusalem).
La division de
l’humanité entre Juifs et Gentils est devenue obsolète, de son point de
vue, au moment où l’organisation sioniste a vu le jour, à la fin du
dix-neuvième siècle, afin de créer un Etat juif en Palestine.
Iconoclaste,
semeur de trouble, malgré son look à la Charlie Chaplin, son sourire (en
apparence seulement) timide, sa moustache à la gauloise et son teint
basané, cet Israël Shamir, lorsqu’il affirme : “On dirait que les
sionistes veulent apporter la preuve que tout ce que les antisémites ont
toujours dit sur les Juifs est vrai. On peut le constater tous les jours
en Israël : le désir de dominer les habitants d’origine, de les spolier...
A Novossibirsk, mes grand-parents avaient décider d’abandonner
définitivement cette attitude et de vivre à l’égal des autres.”
Pour le
journaliste, vétéran de la radio israélienne, de la BBC, des journaux
israéliens HaAretz, Ma’ariv et Al-Hamishmar, correspondant de la Pravda
et de Zavtra, les Palestiniens sont les habitants originels du pays,
attachés tant à la terre qu’à la nature (de Palestine), et dépossédés
par l’entreprise sioniste.
“J’ai été le
porte-parole du parti socialiste Mapam à la Knesset. Cela me laissait
beaucoup de temps libre, que j’ai employé à visiter les villages de
Palestine, en me déplaçant grâce à mon ânesse, que j’avais nommée
Linda”, explique-t-il.
“Dans le
désert, au sud d’Al-Khalil / Hébron, j’ai vu des grottes habitées depuis
plus de trois mille ans. Et l’armée israélienne est venue les détruire,
elle a dynamité les puits et expulsé tous les habitants troglodytes pour
“faire de la place” à des colons juifs. Ce genre de comportement est
déplorable. On dirait des enfants gâtés volant les jouets d’enfants
pauvres pour le plaisir de leur faire du mal.”
Nouvelliste,
traducteur d’Homère, de James Joyce et d’Agnon (écrivain israélien),
Shamir aspire à l’égalité, comme ses grands-parents. “Un seul Etat,
c’est ce que nous avons (déjà), avec l’occupation. Ce dont nous avons
besoin, c’est du droit de vote pour tous. On reconnaît aux Juifs d’être
de bons citoyens américains ou canadiens. Ils sont tout aussi capables
d’être de bons citoyens palestiniens”, lance-t-il à son interlocutrice
qui s’inquiète de la mise en minorité des Juifs dans une Palestine
unifiée.
Cela est tout
simplement inenvisageable pour une vaste majorité d’Israéliens. La
plupart des pacifistes israéliens n’évoquent que la solution “à deux
Etats”. Certains, peu nombreux, osent prôner une “fédération bi-nationale”,
conscients que les Palestiniens aimeraient, en toute logique, avoir
d’abord un pays à eux, avant d’envisager la nature de leurs relations
avec l’Etat hébreu. A une question posée par un étudiant, sur le
terrorisme, Shamir répond par une autre question :
“Si quelqu’un
pénètre dans un kibboutz, dynamite les maisons et tue quelque soixante
personnes, hommes, femmes et enfants, vous dites que c’est un terroriste
?
“Bien sûr”,
répond l’étudiant.
“Nous, en
Israël, nous l’appelons “premier ministre”, dit Israël Shamir, faisant
allusion au massacre commis par Ariel Sharon à Qibya, en Cisjordanie, en
1953.
Un fan de
Sharon prit alors le micro pour chanter les louanges d’Israël et vouer
aux gémonies les Palestiniens, les Arabes, et Shamir. Des appariteurs de
l’université McGill le conduisirent gentiment vers la sortie. Ayant
quitté la salle, il prit le temps de tirer le signal d’alarme. Les
gardiens fermèrent la porte et le meeting se termina dans le calme.
Cette
rencontre était organisée par le SDHP (Solidarité pour les Droits de
l’Homme en Palestine), auquel adhère des étudiants de six universités de
la région de Montréal-Ottawa.