L'Ukraine au bord du trou
par Israël Adam Shamir
[Comme tous les textes de Shamir, avec le recul, celui-ci prend encore
plus de poids. On y retrouve des constantes de sa réflexion et de sa
sensibilité, des rappels historiques profonds, des anticipations décisives.
Au lendemain des élections ukrainiennes du 26 mai, il est bon de rappeler
que le vainqueur, Petro Porochenko "le roi du chocolat" (1), est très proche
de Ioutchenko, dont Shamir explique ici les talents.]
Il y a six mois*, le tout dernier jour de mai, je me trouvais dans une très
vieille, minuscule et tranquille ville ukrainienne, son antique église
Notre-Dame de l’Intercession dominant d’un promontoire une rivière
paresseuse, lorsque je fus subjugué par l’apparition d’une troupe de
fraîches jeunes filles de seize ans venues fêter, dans ce parc, la fin de
leurs études secondaires. Sous un ciel bleu et chaud, des bandeaux blancs et
des guirlandes de fleurs dans leurs cheveux dorés, leurs tabliers de
cérémonie sur des jupes impitoyablement courtes laissant voir leurs genoux
par-dessus des chaussettes blanches, l’éclair de leurs bras blancs
jaillissant de leurs corsages foncés sans manches, elles éclataient de joie
et leurs yeux bleus brillaient à l’ombre des peupliers noirs. L’ami grec qui
m’accompagnait se tut soudain, pensif, puis me dit d’une voix sourde : « les
jeunes Ukrainiennes sont vraiment les plus belles filles qui soient, nous
n’avons rien de semblable dans les autres parties du monde.
Cette image m’est revenue à l’esprit, tandis que des images totalement
différentes – celles de la révolution orange - se déversaient des écrans de
télévision, et que la désintégration de l’Ukraine devenait une question de
semaines, peut-être de jours. Ce pays, dans ses frontières actuelles, n’a
commencé à exister comme tel que très récemment, en 1991 ; maintenant, il y
a de fortes chances pour que l’Ukraine éclate en deux, déchirée entre l’Est
et l’Ouest, avec ou sans une guerre civile à la clé. L’exploit de Staline,
qui avait réussi à ramener l’Ukraine occidentale dans le bercail orthodoxe,
après une longue captivité sous le joug occidental, vient d’être anéanti. Il
est possible que la frontière entre les deux parties avance vers l’est, là
où elle se trouvait au début du XVIIe siècle.
Géopolitiquement, après le démembrement de la Yougoslavie, c’est une
catastrophe majeure pour les Russes et pour l’Orthodoxie orientale. Les
forces occidentales vont progresser vers l’Est et menaceront la Russie
depuis les positions dont elles avaient été évincées par la longue série des
guerres qui avait débuté avec la guerre livonienne d’Ivan IV et s’était
conclue par le partage de la Pologne au XVIIIe siècle. En géopolitique,
l’idéologie joue un rôle subalterne dans les confrontations à long terme et
les échanges entre civilisations. Le christianisme orthodoxe, l’Occident et
l’Islam sont trois grandes constantes ; de ce point de vue, l’Orthodoxie
avait perdu et l’Occident gagné, dans le jeu multiséculaire. Aujourd’hui, le
grand gagnant est l’empire US qui a réalisé ses plus folles pollutions
nocturnes telles que les avait rêvées et exprimées Brzezinski, détacher
l’Ukraine de la Russie, car la Russie ne peut être une super-puissance sans
l’Ukraine.
Ainsi, en Ukraine, les États-Unis viennent d’obtenir la victoire qui leur a
échappé en Irak. Néanmoins, l’identification des USA à l’Occident est loin
d’être parfaite. Carl Schmitt préférait voir l’Angleterre et les États-Unis
comme une force « atlantique » de la mer, opposée aux forces continentales
de l’Europe de l’Ouest, à la Russie et au monde islamique. À mon avis, la
force « atlantique » a des racines aussi religieuses que les trois autres ;
je l’ai appelée « civilisation néo-judaïque ». L’Ukraine, avec d’autres
États d’Europe de l’Est, représentera un avant-poste néo-judaïque américain
qu’on appellera Nouvelle Europe, à l’est de l’Europe indépendante et à
l’ouest de la Russie. Pendant la Guerre Froide, l’Europe occidentale s’est
tenue en réserve des États-Unis, mais la Nouvelle Europe fixera pour
toujours l’Europe occidentale dans le cercle des assiégeants. C’est pourquoi
la victoire des USA en Ukraine est une cause d’inquiétude grave, tant pour
les Européens que pour les Russes et pour le monde islamique.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Carl_Schmitt
Pour le peuple ukrainien, l’avenir est sombre. Le candidat pro-américain à
la présidence, Viktor Iouchtchenko, est un inconditionnel de l’économie
libérale, un partisan de la privatisation totale et de la vente forcée des
avoirs publics ukrainiens à des compagnies US, en échange de leurs dollars
bientôt sans valeur. Dans la partie de l’Ukraine qu’il réussira à garder (s’il
y arrive), une nouvelle colonie américaine s’établira, d’où les troupes US
pourront menacer Moscou et contrôler la profitable route du pétrole. Ils
(les Ukrainiens, NdT) pourraient apprendre quel sera leur sort, dans un
livre étonnant de John Perkins, qui se
présente lui-même comme « un tueur à gages économique »… un professionnel du
renseignement US qui a escroqué, à des tas de pays du globe, des milliers de
milliards de dollars. Dans une interview, Perkins a décrit en quoi
consistait son travail :
« Notre job, c’est de construire un empire américain. De créer des
situations où autant de ressources que possible se déversent dans le pays
[les USA], vers nos grandes sociétés et notre gouvernement, et, de fait,
nous y avons très bien réussi. Nous avons bâti le plus grand empire de
l’histoire du monde. Cet empire, contrairement à tous les autres empires de
l’histoire, a été bâti principalement par la manipulation économique, par la
tricherie et par la fraude : en persuadant les gens d’adopter notre genre de
vie. Nous faisons contracter à des pays des dettes qu’ils ne pourront jamais
rembourser, dont la plupart reviennent aux Etats-Unis. Les pays ne voient
jamais diminuer leur dette, alors que les intérêts qu’ils ont à payer ne
cessent de s’accroître, et ils deviennent ainsi, concrètement, nos
domestiques, nos esclaves. »
Le soutien que l’Amérique apporte à Iouchtchenko signifie que Iouchtchenko
s’est engagé à faire sa volonté, à faire des Ukrainiens les esclaves de
l’Amérique. Iouchtchenko est également soutenu par la Banque Mondiale et par
le FMI. La « doctrine du marché » néo-libérale imposée par la Banque
Mondiale a tué des millions de Russes, d’Africains et de Latino-Américains,
dont les gouvernements ont suivi cette feuille de route. L’Ukraine a eu,
elle aussi, sa part d’« économie de marché » et sa population est en
constante décroissance. Iouchtchenko a réclamé du néo-libéralisme quand il
était premier ministre. Il a promis qu’une fois président, il en réclamerait
davantage.
Les forces pro-américaines d’Europe de l’Ouest, prédatrices d’hier, veulent
elles aussi avoir leur part des dépouilles, comme l’écrit l’observatrice
allemande Suzanne Scheidt :
« Si Iouchtchenko s’empare du gouvernement, il fera en sorte que le
programme de privatisation établi par la Banque Mondiale aille jusqu’au
bout. En tablant sur ce programme, les banques allemandes ont projeté
d’énormes investissements en Ukraine, qui équivalent à une reprise de tous
les services publics, de tous les réseaux de communication et du transport
de gaz. Le géant allemand Ruhrgas AG a déjà signé un contrat avec
Iouchtchenko, pour importer par le corridor ukrainien le gaz des
investisseurs US en Azerbaïdjan, alors que le gouvernement ukrainien avait
toujours refusé de signer un tel contrat. »
Un autre grand soutien de Iouchtchenko est le groupe d’oligarques juifs
russes expulsés de Russie par Poutine. Extrêmement riches, rêvant de
revanche, haïssant la Russie de Poutine, les Berezovski
http://fr.wikipedia.org/wiki/Boris_Berezovsky_%28homme_d%27affaires%29 ,
Goussinski
http://fr.wikipedia.org/wiki/Vladimir_Goussinski et autres ex-pétroliers
de la IOUKOS
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ioukos ont fourni une grande part du
soutien financier de la révolution orange. Ce sont eux aussi qui ont payé
les experts israéliens en relations publiques (y compris Botul ? NdT) qui
ont organisé le show de la place Maidan. Ils sont eux-mêmes soutenus par la
puissante communauté juive d’Ukraine, derrière laquelle se tient George
Soros, le magnat juif international qui n’arrête pas d’injecter de l’argent
et des capacités organisationnelles dans les forces oranges de Iouchtchenko.
Ces forces de l’extérieur ont pour bras armé des jeunes gens locaux,
entraînés et conseillés par des experts qui ont déjà organisé plusieurs
putsches de ce genre en Géorgie, en Serbie et en Roumanie.
Les soutiens internes de Iouchtchenko consistent en deux groupes différents.
Le plus important est celui des nationalistes de Galicie
http://fr.wikipedia.org/wiki/Galicie, à l’ouest de l’Ukraine. La Galicie
est un beau pays, qui a ses traditions. L’amitié avec les Russes n’en fait
pas partie. Pendant des siècles, la Galicie a appartenu à la Pologne et à
l’Empire austro-hongrois ; la religion des Galiciens est le christianisme
Uniate ; leur langue est à mi-chemin entre le polonais et l’ukrainien de
Kiev. La Galicie a une forte tendance au nationalisme ; pendant la IIe
Guerre Mondiale, elle a fourni une division SS qui s’est battue du côté
allemand, la Galitchina.
http://www.resistances.be/ukraine.html Aujourd’hui, les Galiciens
forment la base principale de groupes à svastikas tels que Svoboda (qui a
succédé au Parti National-Socialiste Ukrainien)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Union_panukrainienne_%C2%AB_Libert%C3%A9_%C2%BB
et l’UNA-UNSO http://www.youtube.com/watch?v=bH-HkS6wzzA , qui se
réclame de Bandera, le nationaliste ukrainien qui fut un très actif partisan
d’Hitler. Aujourd’hui, ces deux formations se sont unies pour soutenir
Ioutchenko.
Quoique violemment judéophobes, ils ne voient pas d’objection à ce que
Ioutchenko soit soutenu par des oligarques juifs. D’ailleurs, Soros les a
eux-mêmes financés. Et voilà pour l’anti-sémitisme ! Les juifs se
souviennent de mentionner ces détails quand cela les arrange. À mon avis, le
« nationalisme » joue la plupart du temps le rôle du fromage dans la
souricière. Bandera-le-nationaliste a soutenu Hitler, mais Hitler ne s’est
jamais soucié d’établir un État ukrainien fort ; il s’est juste servi des
nationalistes ukrainiens pour saper la Russie. La même chose s’est produite
partout : les nationalistes bretons ont soutenu Hitler, croyant qu’il les
aiderait à établir une Bretagne indépendante. Ils ont été déçus, car Hitler
a trouvé qu’ils ne lui servaient plus à rien, du moment qu’il occupait la
France. Les nationalistes arabes ont sapé l’Empire ottoman au service de
l’Occident, juste pour se retrouver au bout du compte vendus aux sionistes.
Et voilà que les nationalistes ukrainiens refont la même erreur : ils
soutiennent les USA, mais ils seront, eux aussi, frustrés de leurs espoirs,
parce que les USA n’ont aucun besoin d’une Ukraine forte.
Un autre groupe qui soutient Ioutchenko est celui des libéraux relativement
riches et pro-occidentaux. Beaucoup de ceux-là, surtout à Kiev, la capitale,
ont lié leur sort à l’Ouest. Il y a des douzaines de très riches banquiers
et hommes d’affaires, des milliers travaillent pour les ONG, reçoivent des
subventions de Soros ou du Conseil de l’Europe, auxquels on peut ajouter les
petits importateurs et les prostituées haut de gamme ; il y a les dizaines
de milliers de jeunes ambitieux et d’étudiants qui espèrent « arriver » dans
la société de compétition capitaliste. Nous savons qu’ils seront déçus,
comme l’ont été tant d’autres dans tant de pays : les Occidentaux ne vont
pas attendre que des milliers d’Ukrainiens éduqués viennent prendre leur
place en haut de l’échelle. Mais en Ukraine comme en Russie, ils sont des
millions à croire encore au rêve américain et les Américains dépensent
beaucoup d’argent pour entretenir cette illusion.
L’avenir de l’Ukraine est sombre : les belles jeunes filles que j’ai vues si
heureuses sur les rives du Dniepr seront embarquées vers les bordels de Tel
Aviv et d’Istanbul ; leurs petits amis iront se battre pour l’Amérique en
Irak et ailleurs, leurs mines de charbon seront privatisées, vendues pour
des clopinettes et fermées. L’Ukraine peut être libre en s’unissant à la
Russie ou esclave en se soumettant à l’Ouest et aux Juifs. Quel que soit le
résultat des élections – et il sera controversé –
l’Ukraine orientale rejoindra probablement la Russie, l’Ukraine occidentale
sera reprise par la Pologne ou restera une sorte d’état-croupion
indépendant. Il y a encore une chance pour que se répète la victoire de
Chavez ou le miracle de Minsk, lorsque Lukachenko a réussi à battre les
agents de Soros et de Berezovsky, car ils ne sont pas invincibles, mais
hélas Ianoukovitch n’est pas un homme d’acier ; Poutine n’est pas un
politicien audacieux et le monde slave orthodoxe se sent perdu. C’est
peut-être pour cela que des dizaines de milliers de Russes sont allés
spontanément, ce 21 décembre, se recueillir sur la tombe de Joseph Staline,
pour le 125e anniversaire du grand homme qui a restauré les fortunes de la
Russie, vaincu les attaques occidentales et uni l’Ukraine.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Loukachenko
http://fr.wikipedia.org/wiki/Viktor_Ianoukovytch
(1) : Petro Porochenko: proche conseiller de Iouchtchenko, ce dernier étant
le parrain des filles de Porochenko. Il est l'un des principaux financeurs
de Notre Ukraine et de la Révolution orange.
À la suite de l'élection de Viktor Iouchtchenko à la présidence, Porochenko
est nommé secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense
d'Ukraine. En septembre 2005, à la suite de la crise de confiance
consécutive aux soupçons de corruption dans le milieu politique ukrainien,
ce poste lui est retiré par le président Iouchtchenko3. Le gouvernement de
Ioulia Tymochenko, rivale de Porochenko, doit également démissionner10.
En mars 2006, Petro Porochenko est réélu au parlement au sein de la
coalition Notre Ukraine. Il préside la Commission des finances et des
banques. Il se présente pas aux élections législatives de 2007.
Depuis février 2007, il préside le Conseil de la Banque nationale
d'Ukraine11.
Le 7 octobre 2009, il est proposé au poste de ministre des Affaires
étrangères par le président Iouchtchenk3, et est officiellement nommé par le
Parlement deux jours plus tard. Le 12 octobre 2009, le président le
réintègre dans le Conseil national de sécurité et de défense. Porochenko
soutient la candidature de l'Ukraine à l'OTAN.
Bien que son portefeuille de ministre lui soit retiré par le président
Viktor Ianoukovytch le 11 mars 2010, ce dernier déclare vouloir coopérer
avec Porochenko à l'avenir6. Il est ainsi nommé ministre du commerce et du
développement économique, poste qu'il conserve de mars à novembre 201217.
En mars 2014, avant même qu'il n'ait déclaré officiellement sa candidature,
il apparaît dans les sondages comme favori pour l'élection présidentielle
prévue en mai 2014"http://fr.wikipedia.org/wiki/Petro_Porochenko
Traduction C.L. pour Les Grosses Orchades
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*Cet article date de fin décembre 2013. L’auteur avait oublié (!!!) de le
mettre en ligne sur son propre site:
http://www.israelshamir.net/English/Ukraine.htm. Il vient de réparer cet
oubli. Son analyse « de l’intérieur » n’étant pas, à notre avis, obsolète,
nous l’avons traduite à votre intention.