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Les Russes y réfléchissent à deux fois

 

par Israël Shamir

lundi 4 avril 2011, original sur http:// www.counterpunch.org et http://www.israelshamir.net.

 

  

La Russie est différente. Les Américains, les Britanniques et les Français dans leur ensemble approuvent l’orgie de bombardements de la Libye par leurs forces (oui, certains cependant doutent que ce soit si rentable). Les Russes sont résolument contre, sans «si», ni «mais». L'ambassadeur russe à Tripoli, Vladimir Tchamov, a été accueilli triomphalement à Moscou alors que le président Dmitri Medvedev l’avait démis de ses fonctions publiquement après la fuite dans la presse d’un câble que l'ambassadeur avait envoyé, et qui soulevait cinq points.

L'ambassadeur avait traité la réaction de Medvedev à la crise libyenne de «trahison des intérêts nationaux russes». (Entretemps, le ton des deux côtés s’est radouci quelque peu: le ministère des Affaires étrangères a dit que Tchamov n'avait pas été «viré», mais juste «rappelé» de Tripoli, et qu’il a conservé son rang d'ambassadeur ainsi que son salaire, alors que Tchamov récuse s’être servi du mot «trahison».)

 

Les Russes n'aiment pas l'intervention occidentale en Libye. Les rebelles ne semblent pas authentiques, notent les blogueurs russes; ce sont un ramassis mélangé d’ex-ministres congédiés pour corruption par Kadhafi, des moudjahidin d'Al-Qaïda, une racaille d’abrutis encadrés par des commandos de la SAS (Special Air Service, unité de commandos britannique - NdT) et soutenus par ceux qui sont les meilleurs amis des Arabes: les missiles de croisière étasuniens. Les media russes ont découvert que les premiers rapports sur d'énormes pertes civiles infligées par l'impitoyable Kadhafi avaient apparemment été inventés par des rédacteurs de presse à Londres et à Paris. Plus de civils ont été tués par l'intervention occidentale que par le gouvernement se battant contre les rebelles. Le journal à grande circulation Komsomolskaïa Pravda a publié des rapports d’expatriés russes en Libye qui réfutent catégoriquement les accusations selon lesquelles l’aviation de Kadhafi aurait bombardé des zones résidentielles: cela avait été fait par les bombardements français et britanniques.

 

Les Russes tendent à avoir une idée conspirationniste de la politique. Ils présument que les soulèvements arabes étaient organisés par leurs ennemis: les forces occidentales derrière les révolutions de «couleur», la NED (National Endowment for Democracy – Dotation nationale pour la démocratie), la CIA, le Mossad, et j'en passe, dans le but de créer le chaos selon le modèle irakien. Ils citent les doctrines israéliens et étasuniennes sur l'art  de promouvoir le «chaos constructif». Puis ils soutiennent Kadhafi, et montrent même de la sympathie pour Moubarak. Cela est particulièrement vrai pour les Russes patriotes qui se souviennent que Kadhafi avait soutenu la Russie en 2008 lors du conflit en Géorgie, et pour une communauté d'affaires dans lesquelles ils ont été impliqués concernant de nombreux projets en Libye, allant du gaz naturel aux chemins de fer.

 

Le président Dmitri Medvedev a de bonnes raisons pour regretter sa précipitation à rejoindre la meute des médias occidentaux, car il sera tenu pour responsable de ce qui ne ressemble que trop, aux yeux des Russes, à un Kosovo II. Il est probable qu'il ait été mal guidé par ses conseillers en communication, l'invitant à sauter sur l’occasion d'épouser la cabale médiatique internationale pour «l’arrêt du massacre en Libye», et il a sauté dessus. Le choc des premiers rapports de massacres présumés résonnait encore quand le président Medvedev a lancé un avertissement à Kadhafi à propos de «crimes contre l'humanité», pour ajouter plus tard que Kadhafi était devenu persona non grata en Russie. Medvedev a soutenu la décision de traduire la Libye à la Cour pénale internationale, alors qu'il devait bien savoir par les Russes sur place en Libye que rien d’extraordinaire n’avait eu lieu dans le pays; que ce n'était rien de plus qu’un petit soulèvement qui serait vite jugulé. La situation aurait pu être comparée aux émeutes de Los Angeles en 1965 (soixante morts et des milliers de blessés) ou de 1992 (cinquante morts et des milliers de blessés), à la différence que les Noirs de Los Angeles n'avaient pas le soutien aérien de Tomahawks.

 

Medvedev est également perçu comme l'homme qui a ordonné à son ambassadeur au Conseil de sécurité de s'abstenir. La Russie et la Chine votent généralement dans le même sens quand elles ont l’intention de contrer la volonté du shérif mondial – et cela depuis le vote fatidique concernant le Zimbabwe en 2008 quand la Russie activa son droit de veto pour la première fois depuis Dieu sait quand et empêcha de ce fait les sanctions proposées par l'Occident contre la nation africaine. Puis, d’après la BBC, le secrétaire ministre des Affaires étrangères, David Miliband, aurait déclaré que la Russie allait utiliser son droit de veto, en dépit de la promesse faite par le président Dmitri Medvedev de soutenir la résolution. Il semblerait que cette fois-ci, le point de vue de Medvedev ait prévalu, et qu'il ait consenti ce qui maintenant ressemble comme une nouvelle campagne de Suez (si vous vous souvenez encore de 1956, quand les Britanniques et les Français avaient tenté de libérer l'Égypte de son Hitler-sur-the-Nil, Gamal Abdel Nasser, et d'en profiter au passage pour garder le canal pour eux).

 

Quelques jours plus tard, l'homme fort de la Russie, Vladimir Poutine, a vertement critiqué cet acte de Medvedev. Il a qualifié l'intervention occidentale de «nouvelle croisade» et a suggéré que les dirigeants occidentaux «prient pour leur âme et demandent le pardon du Seigneur» pour le sang versé. Les gens ont adoré cela. Medvedev a tenté une contestation vide de sens: «ne parlez de croisades», mais même lui n'a pas trouvé plus d'arguments en faveur de la campagne de l'OTAN en Libye.

 

Cette fois-ci comme toujours, la réaction instinctive des Russes est d'opposition à toute intervention occidentale. Ils étaient contre l'intervention étasunienne au Vietnam et en Corée, en Irak et en Afghanistan, contre les guerres coloniales des Britanniques et les Français - tout comme vous l’étiez, vous mes lecteurs merveilleux, la minorité spirituelle éclairée de l'Occident. Les Russes ne croient pas que les raisons de l'intervention occidentales aient rien à voir avec l'amour de la démocratie, les droits de l'homme ou la valeur de la vie humaine. Ils appellent un chat un chat, et considèrent qu’une intervention occidentale est une intervention occidentale, une de plus parmi tant d'autres, et dont ils peuvent être aussi une cible.

 

Cependant, Medvedev n'a pas laissé courir l'intervention occidentale pour des raisons purement sentimentales, pour «soutenir l'Europe». L'idée était qu'il vaut mieux laisser l'OTAN s’occuper dans le Sud plutôt qu'à l'Est. La Libye est beaucoup moins importante pour les Russes que la Géorgie, l'Ukraine ou encore l'Afghanistan. Si le monstre doit dévorer quelqu'un, que ce soit plutôt au Maghreb, où les Russes n'ont jamais eu de fortes positions de toute façon. Un rédacteur de WPR [World Politics Review] a décrit ce tournant comme le «moment de Tilsit» de l'OTAN: il signifierait la reconnaissance de l'immuabilité des frontières orientales de l’Occident, en échange des mains libres dans le flanc Sud. Voilà pourquoi la Pologne était mécontente de l'opération Odyssey Dawn: au lieu de les placer sur le front de la confrontation la plus importante, cette manœuvre en direction du Sud met les Polonais dans un cul-de-sac géopolitique.

 

En effet nous ne devrions pas être omnubilés par la problématique Est-Ouest. Comme les États-Unis déclinent graduellement, les puissances européennes commencent à reconsidérer leur rôle. La guerre de Libye est un projet français. La guerre en Libye a été lancé par Sarkozy dans une tentative, au bout de cinquante ans, de rétablir l'Empire français en Afrique du Nord après que le traité d'Évian en ait ostensiblement scellé le sort. C’était son idée de départ, quand il a appelé, lors de sa campagne électorale, pour la création de l’Union pour la Méditerranée. Le projet de cette union méditerranéenne était soutenu par Israël - et maintenant Bernard Henry Levy est le principal propagandiste en faveur de l'intervention. Les Turcs sont, à leur manière subtile, fermement opposés à l’Union méditerranéenne, comme l’a correctement décrit Eric Walberg. L'Italie a soutenu le projet et comme on pouvait s'y attendre a appuyé l'intervention. L'Allemagne était contre l’Union pour la Méditerranée et contre l'intervention. De ce point de vue, l'intervention en Libye est le début d'une nouvelle vague de colonisation européenne du Maghreb.

 

Un observateur russe a remarqué une étrange ressemblance de cette opération avec celle d’il ya cent ans contre la Libye lors de la précédente vague de colonisation. Une Italie, qui venait de faire son unification, et agressive, à la recherche d’un empire, avait décidé de s’emparer de la Libye, alors province ottomane. À cette époque, comme aujourd'hui, les journaux décrivaient la souffrance des Libyens épris de liberté, sous le joug ottoman et le devoir moral des Italiens de les libérer. Les Turcs étaient en mauvaise posture et avaient essayé de capituler tout en sauvant la face. Ils avaient donc proposé de céder la gestion et la colonisation de la Libye aux Italiens, tout en préservant la suzeraineté à la Sublime Porte. Les Italiens avaient refusé, et déclenché leur «Aube de l’Odyssée». Les Turcs s’étaient battus vaillamment, et parmi eux un jeune officier avait prouvé sa valeur: c’était Mustafa Kemal, plus tard surnommé Atatürk. Une seule voix s’était élevée contre l'intervention, celle du jeune socialiste italien Benito Mussolini. C’est dans cette campagne de Libye il y a cent ans, en 1911, que s’est déroulé le premier bombardement aérien, et l'histoire conserve le nom du Lieutenant Giulio Gavotti, le premier à avoir effectué un largage de bombes.

 

La Russie moderne n'est pas l'URSS, elle a peu d’ambitions mondiales. Elle se préoccupe de ce qui se passe dans  sa propre partie du monde, et n'est pas prête à s'impliquer ailleurs. Pour les Russes, les poursuites européennes dans le Sud ne sont pas de menaces, mais plutôt la résomption du rôle régional de la France. C'est pourquoi les Russes se sont abstenus au Conseil de sécurité de l’ONU. Ce sera donc la tâche des forces éclairées de l'Occident d’arrêter l'agression – plutôt que de compter sur le veto russe.

 

Le Président Kadhafi a réussi à irriter beaucoup de personnes dans beaucoup d'endroits. Il a aussi bien agacé les Français que les Russes, en concluant des accords qu’il ne respectait pas. Les messages de Wikileaks font état de cela à plusieurs reprises, notamment dans 10PARIS151: «les Français sont de plus en plus frustrés par le fait que les Libyens ne tiennent pas leurs promesses en matière de visas, d’échanges professionnels, de l'enseignement du français et des offres commerciales.» «Nous (et les Libyens) parlons beaucoup, mais nous avons commencé à voir que les actions ne suivent pas les paroles en Libye. » Il gênait les Saoudiens et pire encore, qu'il irrité son propre peuple.

 

Nous sommes certainement contre l'intervention, mais la question du soutien à Kadhafi n'est pas facile. Mouammar Kaddafi avait /a un caractère complexe: d'une part, c’est un leader autochtone qui a fourni à ses compatriotes le meilleur niveau de vie en Afrique, avec de généreuses subventions, la gratuité des soins médicaux et de l'éducation, le dirigeant qui a appuyé la vision d'un seul État en Palestine / Israël et qui se lie d'amitié avec Castro et Chavez. D'autre part, pour les cinq dernières années, Kadhafi et sa clique se sont occupés à démanteler l'État-providence libyen, privatisant et cannibalisant le système de santé et l'éducation, thésaurisant ses richesses, opérant avec les transnationales pétrolières et gazières des transactions à leur avantage personnel. Le "Nouveau Kadhafi" a fait marche arrière sur un grand nombre de réalisations sociales et n’a pas donné à son peuple les libertés politiques élémentaires. Son soutien pour un seul État en Palestine s’est tari en 2002, cela fait longtemps.

 

Mes amis à Tripoli ne soutiennent pas Kadhafi. Ils sont certainement contre l'intervention occidentale, mais ils n'aiment pas le vieux colonel pour ses habitudes dictatoriales. Ils se sentent des adultes, ils veulent être impliqués dans les prises de décisions, ils n'aiment pas la corruption, ils veulent aussi un plus grand rôle pour l'islam. À leur yeux, Kadhafi réserve sa rhétorique anti-impérialiste pour la galerie, mais sa pratique est occidentale et néolibérale. Il est bon que Kadhafi asticote la famille royale saoudienne et brandisse l’épée contre les dirigeants occidentaux, mais en même temps, il a offert les richesses libyennes à des étrangers. Ainsi, alors que nous sommes certainement contre l'intervention, nous ne devons pas oublier que toutes les forces anti-Kadhafi ne sont pas des laquais de l'Occident ou les combattants d'Al-Qaïda.

 

La politique n'a rien d'un moelleux lit de repos. Avec tout le respect dû à Mouammar Kadhafi et ses réalisations passées, il a dépassé sa meilleure période. Il y a des raisons d'espérer qu'il survivra à la tempête, nous lui souhaitons chaleureusement la défaite des forces interventionnistes. Mais cela devrait être un point de départ pour la démocratie en Libye, pas nécessairement une démocratie de style européen, mais une meilleure façon pour les Libyens de participer à la gestion de leur propre vie.

 

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