LA DOUBLE AFFAIRE DREYFUS
par Israël Adam Shamir
(une lecture de
The Dreyfus Affair, par Piers Paul Read, Bloomsbury, Londres 2012, et de
Le cimetière de Prague, par Umberto Eco, Paris, Grasset 2011)
Alfred
Dreyfus, officier français juif, avait été envoyé en prison pour espionnage à la
fin du XIX° siècle. L'affaire avait divisé la France, et se termina par la
victoire retentissante des dreyfusards, à la suite de quoi Dreyfus fut
réhabilité et réintégré dans l'armée, en 1906. Et voilà que, un siècle plus
tard, il revient sur scène. Son histoire va faire l'objet d'un
film
de Roman
Polanski. De son côté, le brillant écrivain catholique anglais Piers Paul Read
[auteur de Les Survivants, Grasset, 1993, et La Mort du pape,
Thriller religieux, Salvator, 2010, ndt.] sort un livre de 400 pages intitulé
The Dreyfus Affair, et c'est superbement tourné, par un maître en matière
de recherche de la vérité. Enfin, plusieurs pages du Cimetière de Prague,
par le "bestseller intello" Umberto Eco traitent également de l'Affaire.
Pourquoi donc cette
histoire continue-t-elle à intéresser écrivains et lecteurs? Il y en a toujours
eu, des gens arrêtés pour atteinte à la sûreté de l'État, dont certains le sont
à tort, et subissent de longues peines de prison ou pire, en toute injustice.
Dreyfus dut passer quatre ans aux Iles du Salut en Guyane, non loin de
Guantanamo, où des centaines de prisonniers ont dépéri pendant dix ans, et
certains y sont toujours. Quatre-vingt mille condamnés, dont le célèbre
Papillon, sont passés par le bagne de Cayenne; qu'est ce qui fait donc de
Dreyfus quelqu'un de si important encore aujourd'hui?
Si l'on s'en tient
à l'ouvrage de Read, c'est parce que son cas a été utilisé pour attaquer
l'église catholique. L'Église n'était pas impliquée directement, mais la
victoire des dreyfusards donna lieu de fait à une profonde défaite pour les
catholiques. Un innocent a peut-être bien été sauvé, mais la France chrétienne a
naufragé, dans l'histoire. C'est la France de Henry James qui a disparu,
enterrée, pour faire place à un nouvel ordre, où les media ont pris la place de
l'Église pour guider les masses, et où les classes argentées ont remplacé la
noblesse. C'est une défaite charnière de l'Église dans ce que René Guénon a
décrit comme le Kali Yuga (Guénon, le traditionnaliste, avait dix ans en 1894,
lorsque Dreyfus fut arrêté).
Que Dreyfus ait été
innocent ou coupable, c'était une question secondaire, si l'on se place du point
de vue des conséquences de l'affaire. Il a été un précurseur de la longue
kyrielle des martyrs des droits de l'homme, telle que la produisent les media,
cette liste interminable de refuseniks, dissidents, espions arrêtés à tort et
tutti quanti. Il peut s'agir d'innocents ou de coupables, mais dans chaque cas,
il s'agit d'attaquer la souveraineté de l'État et ses structures
traditionnelles, ce qui revient à renforcer l'Empire et son Droit à protéger,
empire qui dispose des armes dernier cri. Dreyfus avait eu le soutien de
l'Angleterre (les USA de l'époque) et cela consolida la position des éléments
pro-britanniques dans l'establishment français. [En fait, écrit Monique Delcroix,
le rôle de l’Angleterre, réel, prend une place démesurée
dans l'ouvrage de Read. En revanche, dans son optique, on note une absence
totale des francs-maçons, ce qui me semble une lacune regrettable dans un essai
de ce genre. Leur rôle a été déterminant. L’enjeu de l’affaire, pourrait se
résumer à la prise du pouvoir par les francs-maçons.]
Le point de vue
catholique
C'est le point de
vue de Read. Il offre une présentation détaillée et honnête de l'Affaire, mais
son sujet central est plutôt celui du destin du catholicisme en France. Il se
pose la question de ce qui est advenu de l'Église et de ses ouailles, pendant
ces années décisives, et c'est en ce sens-là que son livre est très important
pour le lecteur contemporain.
Le récit commence
par un vaste tableau de la persécution des catholiques en France tout au long du
XIX° siècle. Quoi, comment? Les catholiques, persécutés, direz-vous, incrédules?
Nous savons tous que ce sont les catholiques qui ont persécuté les juifs, et
certains érudits savent que les catholiques avaient été pourchassés dans
l'Angleterre élisabéthaine, mais bien peu de gens sont conscients que les
catholiques ont été persécutés à l'époque moderne, parce que c'est un fait qui a
été occulté par deux points culminants jumeaux, qui font écran: l'Inquisition
et l'Holocauste. Ou du moins, c'est ce qui se passait, jusqu'à l'apparition du
livre de Read.
Read raconte des
persécutions terribles durant la Révolution française, lorsque les prêtres
étaient noyés en groupe, ce qui s'appelait le "baptême patriotique", et que les
croyants étaient déshabillés, attachés ensemble, embarqués et jetés par-dessus
bord, ce qui était qualifié de "mariages républicains". Moines et religieuses
étaient exécutés en masse, de nombreux prêtres ont été internés dans des
Bastilles flottantes, annonciatrices des bateaux prison US, ou emmenés en
Afrique de l'Ouest, le "Guantanamo de l'époque", où ils succombaient rapidement
aux maladies. Ces persécutions ne faiblirent que sous Napoléon.
Tout cela est plus
ou moins connu, certes. Mais ce qu'on ignore toujours, c'est que la persécution
n'a pas cessé avec la restauration de la république, elle a simplement changé de
forme. Les croyants n'étaient plus décapités sur la place de la Concorde, mais
voyaient leurs carrières bloquées, alors que juifs et protestants prenaient les
places, formant un bloc anticatholique; leur haine pour l'Église n'était pas
leur motivation principale, mais allait de pair avec le souci de leurs propres
intérêts. Read écrit:
En 1879 un
gouvernement dont six sur dix membres étaient protestants [...] fit voter des
lois qui interdisaient au clergé catholique d'enseigner, tant dans des écoles
privées que dans le public, alors que les enfants juifs et protestants
continuaient à recevoir une instruction confessionnelle… Les couches supérieures
de la vieille bourgeoisie furent exclues du pouvoir, les uns en tant que
catholiques, d'autres en tant que royalistes, ou pour les deux motifs à la fois.
Le vide qu'ils laissaient fut rempli par les protestants et les juifs. Un préfet
juif pouvait observer la pâque juive en toute impunité, mais un préfet
ouvertement dévot pendant la semaine sainte devait se retrouver violemment
attaqué: "communier à Pâques, sous la Troisième République était un geste
revendicatif, voire osé; les fonctionnaires qui le faisaient savaient qu'ils
avaient peu de chances d'obtenir une promotion."
C'est dans ce
contexte-là qu'il faut situer l'Affaire Dreyfus, selon Read: on refusait aux
catholiques les positions influentes dans la société française, en faveur des
protestants et des juifs.
Les catholiques se confondaient avec les royalistes, tandis que les
anticatholiques étaient républicains. "Chaque camp avait ses épouvantails. Pour
les antidreyfusards, c'était "le Syndicat", le réseau secrété par la juiverie
internationale, et pour les dreyfusards c'était l'Église, et en particulier les
jésuites." C'est pourquoi il ne s'agissait pas, dans la bataille autour de
Dreyfus, d'une injustice commise contre un individu, mais de l'avenir de la
France. L'Affaire a été utilisée pour purger l'armée des dernières positions
tenues par les catholiques, et pour intensifier les attaques contre l'Église.
Read soupèse les
raisons qui faisaient détester l'Église, mais son explication est faible. Au
regard de l'opinion publique, l'Église était associée à l'Ancien Régime. Les
gens étaient souvent contre l'Église parce que les prêtres essayaient
d'interdire aux filles d'aller au bal et posaient des questions indiscrètes
pendant la confession. Il mentionne l'attitude anticatholique des juifs, mais ne
propose aucun point de vue personnel sur l'influence que cela put avoir sur les
événements.
Personnellement,
j'ai été très surpris de découvrir qu'au début de l'Affaire Dreyfus, les juifs
n'étaient pas persécutés; ce sont les catholiques qui étaient brimés tandis que
les juifs frétillaient déjà joyeusement. La situation des catholiques ne fit
qu'empirer avec la fin de l'Affaire. L'Église avait perdu la main, et malgré la
profonde religiosité qui existait encore en province, les électeurs
choisissaient toujours un gouvernement antireligieux. Read considère que si les
femmes avaient eu le droit de vote (ce qu'elles n'avaient pas) le résultat
aurait été différent.
Read décrit la
défaite de l'Église dans tous ses détails. Après les élections de 1903, c'est un
gouvernement encore plus radicalement anticatholique qui fut démocratiquement
élu, et il chassa les prêtres des écoles et les religieuses des hôpitaux.
Celles-ci travaillaient pour rien; il fallait payer celles qui les remplaçaient,
mais la haine de l'Église fut plus forte que l'avarice.
Les églises furent
pillées, les monastères assiégés et leurs propriétés confisquées. C'est une
histoire bien triste, que nous devrions faire connaître pour comprendre le XX°
siècle et l'oppression des croyants qui le caractérisa virtuellement partout,
depuis la Russie jusqu'à la France, et de la Turquie jusqu'au Mexique, cet
avènement mondial du Kali Yuga.
Aspects géopolitiques de l'Affaire
Read, le
catholique, constitue une excellente référence pour comprendre la dimension
géopolitique de l'Affaire. Il souligne que l'Angleterre, la grande puissance
protestante, était traditionnellement anticatholique, et c'est pourquoi elle se
rangea du côté des juifs français, qui étaient certainement hostiles à l'Église.
L'Angleterre était aussi puissante et influente à l'époque que les USA de nos
jours. Et elle préconisait, comme les USA aujourd'hui, le Kali Yuga pour le
monde entier.
L'Angleterre en fit
des tonnes avec l'Affaire Dreyfus, exactement comme le font les USA de nos
jours, et mobilisa la "communauté internationale" contre la France
désobéissante. Les antidreyfusards étaient contre les Anglais, les dreyfusards
étaient anglophiles, c'était donc logique. Il faut souligner que les catholiques
anglais et même un Anglo-irlandais non catholique comme Bernard Shaw ne se
laissèrent pas entraîner par la propagande dreyfusarde. Ainsi donc, l'alliance
anglo-judaïque (qui est devenue l'entente américano-judaïque de maintenant)
était en place bien des décennies, voire des siècles, avant la déclaration
Balfour.
L'Affaire de Damas,
en 1840, fut un précédent de l'affaire Dreyfus: certains juifs y étaient accusés
d'avoir tué un prêtre catholique pour le saigner. Pour les sauver, les juifs
français éminents et puissants avaient fait bloc avec l'Angleterre (et les juifs
anglais), et ils minèrent les positions françaises en Syrie. La France fut
humiliée, le profrançais Mohammed Ali dut quitter la Syrie et la Palestine, puis
le pays retomba sous la coupe ottomane.
Bien des Français
furent choqués en réalisant que les juifs français mettaient les intérêts de
leurs frères en Syrie au-dessus des intérêts de leur propre pays. Cela ne nous
étonne pas parce que l'activité du lobby juif à Washington nous a habitués au
fait que bien des juifs sont effectivement prêts à sacrifier les intérêts de
leur propre pays pour le bien de leurs frères et sœurs au Moyen Orient. Pour les
citoyens de la France du XIX° siècle, c'était une pénible surprise. "Une
victoire pour les juifs était perçue par bien des patriotes français comme une
défaite pour la France, une défaite dans laquelle les juifs français
collaboraient avec les ennemis de la France."
Voilà l'histoire
telle que la raconte Read, mais il y voit avant tout une victoire britannique,
et non pas juive: l'Angleterre avait décidé de protéger les juifs, alors que la
France protégeait les catholiques et la Russie les orthodoxes. Read ne cherche
pas d'explication théologique à la connexion judéo-britannique; il considère que
cela relève simplement de l'opportunisme, en vertu du principe selon lequel "la
Grande Bretagne n'a pas d'amis, mais seulement des intérêts". Ce sont
effectivement les navires de guerre, plutôt que les réclamations juives, qui ont
chassé Muhammad Ali de Syrie et de Palestine, comme en témoignent les murailles
en ruine d'Acre jusqu'à aujourd'hui.
Il est bien dommage
que Read omette de mentionner le personnage le plus haut en couleur dans
l'Affaire de Damas, Sir Richard Burton, le grand orientaliste anglais,
traducteur des 1001 Nuits et du Kama Soutra, qui était consul britannique à
Damas en 1870, et qui était convaincu du bien fondé des accusations contre
Dreyfus; il a écrit un livre sur le sujet. C'est un livre encore inédit,
malheureusement, le manuscrit en est gardé sous clé dans les coffres du Board of
Deputies des juifs britanniques...
Le livre de Read
bâtit donc un récit intéressant et bien rédigé, riche en portraits frappants, et
il aide le lecteur à retrouver les origines de la déroute de l'Église en France,
déroute particulièrement instructive pour les catholiques des Etats-Unis.
Le point de vue
juif
Pour moi, l'Affaire
Dreyfus était une pierre angulaire dans l'éducation sioniste que j'ai reçue.
C'est son "procès injuste" qui avait poussé Theodor Herzl à élaborer le
sionisme. Selon les termes d'un historien juif: "c'est dans son travail de
correspondant que Herzl a été témoin de la dégradation du capitaine Alfred
Dreyfus, chassé de l'état-major, car il avait été frauduleusement accusé de
haute trahison et exilé à l'île du Diable uniquement parce qu'il était juif."
Donc Dreyfus avait engendré Herzl, et Herzl l'État d'Israël.
On m'apprenait (à
vous aussi sans doute) que si un juif était arrêté, il était forcément innocent,
et que les vrais criminels étaient les antisémites. On découvre heureusement
dans le livre de Read que Dreyfus n'a nullement été accusé et condamné parce
qu'il était juif. Il y avait des raisons tout à fait solides pour ce faire,
aussi valables que pour toute autre affaire relevant de la sûreté de l'État.
Read est plus qu'objectif, il fait tout ce qu'il peut pour se situer du point de
vue juif. Il explique les raisons des juges, et expose également (il les
surexpose, même) les arguments de l'équipe des défenseurs de Dreyfus.
Le capitaine
Dreyfus n'a donc pas été arrêté et condamné sur des bases légères. Il faut
rappeler les détails sordides de l'Affaire. En 1894, les services de
renseignement avaient placé un de leurs agents, une femme de ménage, dans les
appartements de l'attaché militaire allemand à Partis (les Allemands étant à
l'époque, en préambule à la Grande Guerre, les pires ennemis de la France),
et elle rapportait tout ce qu'elle trouvait dans la corbeille à papier à ses
supérieurs. Le livre de Read fourmille de détails croustillants, ce qui le rend
particulièrement agréable à lire. Il nous parle de la moustache de l'attaché
militaire et de ses histoires sentimentales bisexuées, et nous fait découvrir
que la "femme de ménage" était une femme de caractère dont le plus grand exploit
fut de réussir à passer pour une idiote.
Un jour, elle
rapporta donc un bout de papier déchiré qui contenait une liste de secrets
militaires que quelqu'un offrait de vendre à l'attaché militaire allemand, le
fameux "bordereau". Après avoir conclu que la lettre ne pouvait avoir été écrite
que par un très petit groupe d'officiers probablement en relation avec
l'état-major, le service secret français fit faire une analyse graphologique et
conclut que la seule personne dont l'écriture correspondait était un capitaine
d'artillerie d'origine juive alsacienne, riche, de bonne famille et arrogant,
qui effectuait une mission temporaire à l'état-major. Le graphologue était
arrivé à cette conclusion sans savoir à qui appartenait l'échantillon qu'on lui
demandait d'examiner, sans savoir non plus que la personne était juive.
Parmi les experts
qui confrontèrent les écritures, se trouvait Alphonse Bertillon, père de la
criminalistique moderne. Il confirma que Dreyfus était le coupable le plus
probable.
Albert Lindemann,
[le spécialiste de l'antisémitisme moderne qui s'est fait une renommée avec Esau's
Tears: Modern Anti-Semitism and the Rise of the Jews, 1997, inédit en
français, ndt.] dans son livre concis
The Jew Accused,
Three antisemitic affairs,
dont 70 pages à peine se réfèrent à Dreyfus fait remarquer que "seul un petit
nombre de gens avait accès à ce genre d'informations", et que parmi ceux-ci,
"Dreyfus était le seul dont l'écriture ressemblait à celle du bordereau. En
fait, pour un œil non exercé, la ressemblance entre l'écriture de Dreyfus et
celle du bordereau est frappante."
Cela suffirait pour
faire condamner quelqu'un même aujourd'hui, mais il y avait encore d'autres
éléments de preuve. Le renseignement français se penchait sur un certain
diplomate italien, qui confortait la présomption de culpabilité de Dreyfus. Il y
avait aussi une lettre à l'attaché militaire allemand, mentionnant "cette
crapule de D", qui désignait Dreyfus, de l'avis général.
Lors du procès,
l'officier du renseignement dit qu'ils avaient des preuves dont on ne pouvait
faire état, de fait, les paroles d'une taupe française dans une ambassade
étrangère, qui impliquaient Dreyfus. La défense protesta avec indignation, et
demanda la levée du secret, mais ne l'obtint jamais, car l'officier, le colonel
Joseph Henry, dit que le nom de la taupe (le comte italien retourné par les
Français) constituait un sujet trop sensible. Read pense que ceci a
définitivement vicié le procès, mais c'est quelque chose de tout à fait courant
dans des procès liés à la sûreté de l'État en Israël, où il est de règle que la
défense n'ait pas accès aux preuves classées "secret défense". Il en va de même
dans les procès pour terrorisme aux USA, comme nous l'avons appris des documents
de Guantanamo révélés par Wikileaks: les accusés ne savaient même pas de quoi
ils étaient accusés.
De nos jours,
l'accusé doit déjà se sentir heureux s'il a droit à un procès: il y a des gens
en Israël, aux USA et ailleurs, qui passent des années en prison, soupçonnés
d'atteintes à la sécurité de l'État mais sans qu'aucune preuve recevable soit
présentée à la cour. Dans le monde de l'espionnage et du contre-espionnage, les
preuves vraiment solides sont rarement étalées; tout se fait sur la base des
soupçons. Et s'il faut aller devant les tribunaux, les preuves peuvent être
falsifiées, le mensonge est courant.
Et il est
malheureusement tout aussi courant d'être soupçonné à tort ou accusé de "porter
atteinte à la sécurité". En Israël, il y a des milliers de gens emprisonnés sans
qu'on ait formulé contre eux le moindre grief précis. Ce qui est rare, c'est
d'en ressortir indemne. Read (comme d'autres auteurs) signale que les
accusateurs de Dreyfus avaient fait des faux, et avaient menti pour asseoir leur
point de vue. Là encore, il conviendrait d'ajouter qu'il n'est pas rare que la
police invente des détails, fabrique des fausses preuves, et mente à tour de
bras pour que l'ensemble colle. Les accusateurs de Dreyfus n'étaient ni
meilleurs ni pires que nos flics contemporains et autres sbires. Les défenseurs
de Dreyfus aussi ont fait autant de falsifications qu'ils l'ont pu, nous dit
Lindemann.
Nous ne savons pas
vraiment si certains des documents étaient totalement bidon. Le colonel Henry
fut accusé, et arrêté pour cela, puis se trancha prestement la gorge dans sa
cellule. Mystérieusement, le rasoir dont il se servit se replia proprement après
qu'il se fut égorgé avec. Jusqu'à maintenant, personne ne sait qui lui avait
rendu visite une heure avant son soi-disant suicide, car l'identité de ce
visiteur a disparu du registre. Dans sa dernière communication, Henry affirmait
avoir recopié mais non pas falsifié des lettres, ce qui était courant avant
l'invention de la photocopie. Tout en copiant, il avait ajouté certains détails
qu'il connaissait ou croyait connaître, par une autre source, ce que
pratiquaient régulièrement les copistes de jadis.
Si ce n'est pas
Dreyfus qui avait écrit le bordereau, qui était-ce donc? On a prétendu que
c'était un autre officier, Charles-Ferdinand Esterhazy. Il rejeta l'accusation
et cria sur les toits qu'on lui avait offert un pot de vin colossal de 600 000
francs pour qu'il accepte de prendre sur lui le verdict. Esterhazy eut droit à
un procès, dont il ressortit innocent, et déclara qu'il était entré en
communication avec les Allemands sur l'ordre de ses chefs, pour les induire en
erreur. Read fait remarquer qu'Esterhazy, qui apparemment eut bien des contacts
avec les Allemands, ne trahit aucune information véritable, et n'avait jamais
pensé que Dreyfus avait été condamné à cause de ses méfaits à lui, Esterhazy.
Esterhazy était
donc un pseudo espion fabriqué de toutes pièces pour fournir aux Allemands des
coupures de journaux et autres périodiques français, rien de secret, du "pipi de
chat" dans l'argot des espions. Read en déduit donc qu'il n'y avait pas de
crime, pour commencer.
Y avait-il matière
à procès contre Dreyfus? Oui, certes. Était-il coupable? Nous ne le savons pas
et ne le saurons probablement jamais. Il a échappé à un châtiment, mais OJ
Simpson aussi. Pouvons-nous être certains qu'il était innocent? C'est ce que
pense Read. Si Read avait gardé un esprit ouvert sur ce point, il aurait écrit
un livre encore bien plus intéressant. A la fin, il y eut tellement
d'interférences extérieures dans l'affaire qu'il est difficile de trancher. Lors
du procès en appel, le Président du Conseil
fit pression sur le procureur militaire et même sur les juges pour obtenir un
verdict innocentant Dreyfus, c'est un fait avéré, reconnu par Lindemann. Des
deux côtés, tant dreyfusards qu'antidreyfusards partageaient la conviction que
"'la fin justifie les moyens". Il y a quelques années le professeur Faurisson et
ses amis, qui ne sont pas réputés être amis des juifs, ont repris la recherche
et ont voulu rejuger Dreyfus, mais leur conclusion est que l'on doit, en l'état
de la question, s'en tenir au doute. [Voir Monique Delcroix,
Dreyfus-Esterhazy, réfutation de la vulgate, 2° édition revue et corrigée,
463 p., éd. Akribeia, Saint-Genis-Laval, 2010, ndt.]
L'écrivain
Chesterton faisait partie de ceux qui croyaient dur comme fer à l'innocence de
Dreyfus, mais il fut outré, non pas tant par les faits, mais par la scandaleuse
position dreyfusarde de la presse britannique. Tandis qu' "il y a peut-être une
épaisse couche d'injustice qui pèse sur les tribunaux français, je sais qu'il y
en avait une autre sur les journaux anglais", écrivait-il, et il ajoutait qu'il
"était incapable de parvenir à un verdict final sur l'individu, ce qu'il lui
fallait bien attribuer en grande partie à l'unanimité irrationnelle et acritique
de la presse anglaise." Il était également abasourdi par la sincérité des deux
côtés: Dreyfus était sincèrement certain de son innocence, comme ses accusateurs
de sa culpabilité…
Les défenseurs de
Dreyfus (parmi lesquels son frère, plus que tous) dépensèrent des millions de
francs (qui feraient autant de millions de dollars aujourd'hui) pour le faire
libérer. Il y eut d'autres procès en appel, mais chaque fois, la condamnation
étaient confirmée. Malgré cela, les défenseurs de Dreyfus ne se découragèrent
pas, et il fut gracié.
La victimitude juive
Les meilleurs
historiens ne pensent pas que Dreyfus ait été condamné parce qu'il était juif,
pas même les historiens juifs. Ainsi Barbara Tuchman écrit que "le procès
d'Alfred Dreyfus ne relevait pas d'un complot délibérer pour coincer un
innocent. C'était la conséquence d'un soupçon raisonnable…" Albert Lindemann,
l'expert vivant le plus éminent en matière d'antisémitisme, conclut de son côté:
"aucune preuve n'est apparue d'un complot antisémite contre Dreyfus, qui aurait
été ourdi par des officiers du renseignement, et certainement aucune tentative
préméditée pour faire condamner quelqu'un dont ils auraient su depuis le début
qu'il était innocent."
Read est nuancé
lorsqu'il répond à la question de savoir si Dreyfus a fait l'objet de poursuites
parce qu'il était juif. Même s'il n'était pas mis en accusation parce que juif,
il n'est pas impossible que, s'il n'avait pas été juif, ses accusateurs eussent
été plus précautionneux avant de décider de sa peine. Mais c'est Read lui-même,
par sa façon d'écrire, qui ouvre la porte à une autre explication: Dreyfus n'a
pas été accusé parce qu'il était juif, mais parce que c'était quelqu'un de
détestable. Ses manières, sa façon d'être distant, son style arrogant, son
manque de camaraderie avec les officiers de son rang, de même que sa façon de se
vanter d'avoir de l'argent et des relations, voilà ce qui rendait ses
accusateurs moins vigilants peut-être, pour trancher. Sa judaïté comptait moins
que son insolence, car il y avait d'autres juifs qui ont fait de belles
carrières dans les rangs de l'armée de la République, y compris dans
l'état-major, et on ne les accusait pas d'espionnage à tout bout de champ.
Mais les
philosémites s'aventurent souvent sur le terrain où les juifs n'osent pas le
faire. Le partisan le plus solide pour faire rentrer l'Affaire dans la théorie
victimaire juive, c'est Umberto Eco. Son livre est aussi biaisé qu'une bande
dessinée, et à peu près aussi subtil que la comedia dell'arte de son pays natal.
Dans l'histoire qu'il bâtit, il y a les méchants et les victimes, et toute
nuance éventuelle est ignorée.
Pour Umberto Eco,
Alfred Dreyfus fut piégé par de méchants haïsseurs de juifs qui avaient fabriqué
le bordereau avec le propos délibéré d'avoir la peau d'un juif innocent. Ils
font ça simplement parce qu'ils détestent les juifs, et même s'ils ne
connaissaient pas le moindre juif personnellement. Ces sentiments dignes d'Abe
Foxman sont mélangés avec de vieilles recettes de plats italiens et français,
vaguement ficelées avec quelques bribes d'écrits pseudo-historiques. Les juifs
sont judicieusement absents de son livre, parce que les juifs, dans la
perspective d'Umberto Eco, ne sont que des victimes éternelles, et de simples
objets de l'imagination hostile des gentils.
Eco est un
conspirationniste flamboyant. Dans son schéma, le Méchant c'est quelqu'un qui
déteste les juifs et qui veut faire du fric avec sa haine. Il ne connaît pas le
moindre juif; il n'en a jamais rencontré, mais ses grands-parents lui ont appris
qu'il faut les honnir. De fait, il déteste à peu près tout le monde: les femmes,
l'Église, les Franc-maçons, les révolutionnaires, et les conservateurs. Il
marche avec Garibaldi en Italie, se rend en France sous Napoléon III, survit à
la commune de Paris, et gagne son pain en faisant des faux et en donnant un coup
de main aux services secrets.
Le Méchant met à
jour la dernière théorie conspirationniste (familière aux lecteurs du Pendule
de Foucault, son livre antérieur et meilleur). Les méchants se retrouvent
dans un endroit écarté et décident entre eux de la façon de détruire le monde
afin d'en prendre le contrôle. Ce meta-scénario imaginatif a été interprété par
les méchants pendant des années; la seule chose qui change, c'est l'identité des
méchants dont l'identité varie en fonction de la demande. Parfois, ce sont les
cardinaux, d'autres fois les franc-maçons, et encore d'autres fois les juifs. Ce
sont les mêmes méchants qui ont écrit les Protocoles des Sages de Sion, bien
entendu.
Le récit fabriqué
par Umberto Eco sur l'Affaire est d'une simplicité lumineuse. Un officier du
renseignement, le Français Esterhazy, rencontre le Méchant et lui commande de
fabriquer un document visiblement écrit par un officier juif, Alfred Dreyfus,
pour l'attaché militaire allemand, et contenant une liste de secrets militaires
qu'il est prêt à fournir, tout cela simplement à cause de sa puérile et limpide
haine des juifs. Les antisémites sont primés pour entrer en action dès que
Dreyfus sera mis en accusation. Le Méchant reçoit un échantillon de l'écriture
de Dreyfus, et le voilà parti. S'ensuit une comédie de quiproquos; pas de bol,
l'échantillon était celui de l'écriture d'Esterhazy. Dreyfus part pour l'île du
Diable, et les antisémites se réjouissent, jusqu'au moment où ses défenseurs
découvrent que le manuscrit est de la main d'Esterhazy. Les antisémites
commandent alors encore plus de faux au Méchant, mais c'est trop tard.
Le livre d'Umberto
Eco est tellement tiré par les cheveux qu'on peut le lire comme une parodie de
la vision juive de l'histoire. Malgré sa richesse en trivialités historiques, le
livre est insubstantiel. C'est un montage en carton-pâte, un mélange mi-cuit de
recettes culinaires et de boue. Dans le livre d'Eco, si un juif est accusé, vous
pouvez parier jusqu'à votre dernier dollar qu'il a été piégé par de vils
antisémites. Je me demande si le bon maître en sémiotique a été dûment
récompensé par Mm. Milken, Rich, Madoff, Pllard et compagnie, parce qu'il mérite
largement leur gratitude.
Juifs et antisémites
Peut-être que
l'affaire Dreyfus visait l'Église [comme le pense Read]; ce qui ne veut pas dire
que l'Affaire n'ait pas été une empoignade entre partisans et ennemis des
juifs. Chaque fois qu'un juif est reconnu coupable d'un crime, les gens qui ont
un apriori contre les pratiques juives prêtent la plus grande attention à la
judaïté du criminel, exactement comme les gens qui ont à l'endroit des mêmes un
préjugé favorable sont prompts à exulter chaque fois qu'un juif réussit en quoi
que ce soit. Et les juifs étaient sans aucun doute des partenaires actifs dans
le jeu politique de l'époque.
Lindemann souligne
utilement un point dans le contexte historique: le XIX° siècle a vu l'ascension
des juifs, c'est-à-dire l'augmentation rapide de l'influence juive, en matière
de richesse, d'importance, et en nombre. Mais il a bien fallu que quelqu'un paye
pour cela: comme de nos jours, dans les années 1850 et 1860, des politiques de
libéralisation des échanges avaient régné longtemps en Europe, et comme de nos
jours, elles avaient débouché sur un effondrement de la Bourse, la banqueroute
des banques, de nombreux scandales financiers (Enron et Madoff ont eu des
prédécesseurs); et d'ailleurs une grande dépression s'en suivit, qui couvre les
années 1870 et 1880. Le libéralisme s'en trouva discrédité, et la population mit
un siècle à l'oublier, avant de se jeter dans le thatcherisme et le reaganisme.
Alors comme
aujourd'hui, les juifs étaient indissociables du libéralisme et de la mauvaise
gestion financière: dans plusieurs gros scandales, qui incluent le scandale de
Panama, ils jouèrent un rôle majeur. De même, ils devinrent fort puissants au
niveau national et international, mais moins que ne l'imaginent certains.
Lindemann se montre prudent quand il écrit: "il y a peu de sujets qui font plus
d'unanimité que celui du pouvoir international des juifs à l'époque moderne,
qu'on parle des années 1860 ou des années 1980."
Avec l'apogée du
libéralisme, la résistance à la politique juive commença a prendre des formes
organisées. Reads dessine un portrait d'Edouard Drumont, le premier antisémite
français moderne: "un veuf, timide et effacé, une personnalité renfermée, à
l'ancienne, plutôt excentrique, introspectif, contemplatif, un érudit, une sorte
de moine laïc."
Drumont se servit
de l'affaire Dreyfus pour répandre son message antisémite, parce qu'il était
convaincu que la France était "occupée par les juifs, exactement comme
l'Angleterre était sous la botte des Normands sous Guillaume le Conquérant."
Read aurait pu ajouter que Georges Bernanos, écrivain français catholique
anti-capitaliste et antifasciste renommé, admirait Drumont [Voir La Grande
peur des bien-pensants, Grasset, 1931, ndt.]
L'antisémitisme
était (et c'est toujours le cas) un élan anti-bourgeois radical, qui n'était pas
approuvé par les classes dirigeantes ou par le clergé âgé. Selon les termes de
l'éditorialiste conservateur du Figaro, "l'antisémitisme est la forme la plus
dangereuse du socialisme; c'est une campagne contre les classes argentées". Les
succès politiques des antisémites ont été plutôt maigres, ce qui n'empêche que
la bourgeoisie au pouvoir se sentait menacée par eux.
Deux camps se
formèrent: celui des antidreyfusards, dont certains étaient des antisémites
radicaux, tandis que d'autres étaient des catholiques et des conservateurs, et
les dreyfusards, dont certains étaient juifs, et d'autres, des républicains
habituellement anticléricaux. Les deux groupes pouvaient être tout à fait
déplaisants: Clémenceau était un dreyfusard type, il fut mouillé dans le
scandale de Panama, et on l'identifiait aux intérêts anglais; il brisa rudement
des grèves et fit tirer sur les manifestants, ce qui est affreux, mais non pire
que l'antidreyfusard Charles Maurras qui rejetait le Christ et appelait de ses
vœux une brutalité nietzchéenne dans le cadre d'un darwinisme impitoyable.
Paradoxalement, les
marxistes refusèrent de condamner l'antisémitisme, et ils redoutaient que "la
réhabilitation de l'un de leur classe puisse donner lieu à la réhabilitation de
tous les juifs parmi les gens impliqués dans le scandale de Panama. "Les
capitalistes juifs … Ils voudraient laver à cette fontaine toutes les souillures
d’Israël",
cite Read. Naturellement, la grande majorité des Français restèrent amnésiques
et indifférents sur cette question.
Read décrit un
certain nombre de personnalités intéressantes dans les deux camps. Bernard
Lazare
était un ami personnel de Drumont, et c'était un juif très critique envers les
juifs. Puis vint le jour où il renversa la vapeur et commença à combattre
l'antisémitisme. C'est l'un des premiers dreyfusards à avoir dit que Dreyfus
avait été emprisonné parce qu'il était juif. Sa conversion fut si complète et
soudaine que bien des gens qui le connaissaient pensèrent qu'il avait été acheté
par la famille Dreyfus pour servir d'agent de liaison avec les intellectuels.
Émile Zola,
l'écrivain qui fit tourner le vent avec son J’accuse, est dépeint comme
un homme désagréable, toujours à chercher querelle aux autres auteurs. Edmond de
Goncourt le qualifiait de " créature fausse, hypocrite, sournoise, un vrai
Italien, oui, tout simplement". Marcel Proust se joignit à la cause dreyfusarde,
et son père en était si consterné qu'il ne lui adressa pas la parole pendant une
semaine.
Si les antisémites
ne s'étaient pas emparés de l'affaire Dreyfus comme prétexte pour attaquer les
juifs, le groupe des dreyfusards n'aurait probablement pas vu le jour, dans la
mesure où pratiquement tout le monde, y compris Bernard Lazare et Theodor Herzl,
était convaincu que Dreyfus était vraiment coupable.
Mais les attaques contre les juifs réveillèrent leur esprit belliqueux, et tout
cela s'est terminé par leur grande victoire.
Traduction: Maria
Poumier
En fait, le rôle de l’Angleterre, réel, prend une place démesurée dans
l'ouvrage de Read. En revanche, dans son optique, on note une absence
totale des francs-maçons, ce qui me semble une lacune regrettable dans
un essai de ce genre. Leur rôle a été déterminant. L’enjeu de l’affaire,
pourrait se résumer à la prise du pouvoir par les francs-maçons. Je ne
parlerais pas de « soutien de l’Angleterre », car le gouvernement
anglais est resté strictement muet dans cette affaire (wait and see!) -
contrairement à l’Allemagne et à l’Italie dont le soutien officieux à
Dreyfus est devenu officiel au procès de Rennes (1899). Mieux vaudrait
dire « soutien de la presse anglaise »]
Plus important que « en préambule de la Grande Guerre » serait de dire
« en conséquence de la guerre de 70 ». C’est cette dernière qui marque
terriblement les esprits, militaires et patriotiques, et qui est
véritablement la toile de fond de l’affaire.
C’est une affaire alsacienne...
Shamir retient l’interprétation de Read sur le rôle d’Esterhazy, qui est
celle que j’appelle la version « soft ». C’est son droit ! Mais plus
important que les « contacts avec l’Allemagne » d’Esterhazy, dont on use
et abuse, sont les contacts d’Esterhazy avec le milieu juif français que
toute la littérature officielle s’emploie à cacher ou à minimiser, mais
qui sont avérés. Quand on sait que, dès 1892, Esterhazy est l’obligé des
Rothschild, on a une vision plus juste du personnage.
Ce qui a d’ailleurs nécessité qu’il renonce à faire appel du jugement de
Rennes, donc qu’il reconnaisse sa culpabilité, au grand dam des
dreyfusards purs et durs !!
Paru dans « La Petite République », journal socialiste, et
signé par tous les députés socialistes, Jaurès inclus. Voir citation
plus complète dans mon livre, p. 325.
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