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Aout 14 (Deuxième partie)

par Israël Adam Shamir

Les raisons du cessez-le-feu

La phase aigüe de la crise ukrainienne est passée à partir de la signature du cessez-le-feu de Minsk. On ne saurait prédire combien de temps il va être effectif, et s’il va évoluer vers une paix stable; mais déjà cette pause offre une occasion de revenir sur les politiques et stratégies des deux côtés. La première partie de cet essai traitait de la crise ukrainienne jusqu’à l’incident du Boeing. J’écrivais que les résultats obtenus par les rebelles étaient bien ternes et je concluais que “sans engagement russe franc, un mouvement séparatiste en Novorussie était voué à l’échec.”
Après la catastrophe aérienne, les Russes ont fait de la paix en Ukraine leur priorité. Paradoxalement, ceci exigeait un engagement plus grand de la part des Russes. Depuis le début, le Département d’Etat a eu beau prétendre le contraire, Poutine ne voulait pas la guerre en Ukraine, et encore moins contre l’Ukraine. Il aurait préféré que l‘Ukraine reste neutre et amicale. L’intervention n’était pas prévue au menu, de son point de vue, lorsque les US ont entrepris d’attaquer la Russie par le biais de l’Ukraine, ou du moins, de renforcer leur emprise sur l’Europe en utilisant l’épouvantail russe. Et Poutine a continué à traîner des pieds, en espérant que les choses s’arrangeraient d’elles-mêmes.
Mais il avait mal fait son calcul. Il n’avait pas compté avec les ardeurs belliqueuses de Poroshenko, sur la disposition du nouveau gouverneur de Kiev pour infliger de grands carnages aux civils et pour y sacrifier sa propre armée. C’était la surprise, après la transition pacifique qui avait eu lieu en Crimée, car Poutine avait des raisons d’espérer que Kiev écouterait les revendications du Donbass. Poutine ne pouvait pas abandonner le Donbass en flammes et oublier toute l’affaire.
Un million de réfugiés sont déjà passés d’Ukraine en Russie; la poursuite de la guerre de Kiev au Donbass aurait pu provoquer un afflux de réfugiés de l’ordre de cinq millions, trop pour que la Russie puisse les absorber.
Poutine était prêt à négocier avec Poroshenko et à s’entendre sur des bases pacifiques; mais Poroshenko a refusé. Le soutien aux rebelles du Donbass, de basse intensité, ne suffisait pas pour changer les règles du jeu et pour forcer Poroshenko à négocier. Cela exigeait une victoire limitée, au prix d’un relatif engagement russe.
Mais cet engagement a suffi pour modifier rapidement la situation. Devant sa défaite dans la ville portuaire de Marioupol, Kiev a accepté les propositions de Poutine. L’engagement pouvait-il aller jusqu’à l’invasion? Je n’ai pas accès aux secrets d’Etat, mais je vais partager avec vous ce que j’ai entendu dire, vu et compris.
Premièrement, comparons la Russie au Vietnam d’il y a cinquante ans.

• Le Vietnam était divisé entre le Sud et le Nord, par l’œuvre de l’Occident, de même que l’URSS a été divisée entre Ukraine et Russie par l’Occident.
• Le Nord Vietnam est devenu indépendant, tout comme la Russie.
• Le Sud Vietnam est resté sous occupation, et l’Ukraine est restée sous occupation occidentale. 
• Les habitants du Sud Vietnam se sont dressés contre leur gouvernement mis en place par les USA, et le Vietnam du Nord a soutenu leur lutte. 
• Les US ont présenté la guerre comme une “agression par le Nord Vietnam”, mais le Nord et le Sud ne constituaient pas deux Etats indépendants; il s’agissait d’un seul Etat artificiellement scindé par l’Occident.
• De la même façon, les USA présentent maintenant la guerre en Ukraine en termes “d’intervention russe” mais ni la Russie ni l’Ukraine ne constituent deux pays pleinement indépendants; ce sont plutôt deux moitiés d’un seul pays, au regard des Russes comme des Ukrainiens. De leur point de vue, les habitants de l’Ukraine se sont soulevés contre le gouvernement mis en place par les US, et la Russie indépendante a été force de soutenir leur combat. 
• Les gens de ma génération se souviennent que les US ont tué des millions de Vietnamiens, ont bombardé leurs villes et saccagé leur terre, sous la bannière de la “résistance à l’agression du Nord Vietnam”, mais cela s’est terminé par la réunification du Vietnam. Poroshenko est le Ngo Dinh diem de l’Ukraine, Poutine est un improbable Ho Chi Minh de la Russie. 
L’engagement russe a consisté tout d’abord à équiper et à entraîner des forces de Novorussie, de la même façon que les US ont entraîné les rebelles syriens en Jordanie, et ensuite il a été permis à certains officiers russes de quitter leur poste pour rejoindre les forces rebelles sur la base du volontariat. Les unités rebelles, entraînées et équipées par la Russie, renforcées par quelques officiers russes, n’étaient pas capables de faire autant de dégâts qu’une armée régulière; leur enthousiasme remplaçait le manqué de savoir-faire. Le régime de Kiev a estimé l’ensemble de la présence militaire russe en Ukraine à un millier de personnes; quantité négligeable en comparaison des 50 000 hommes de troupe ukrainiens et des 30 000 rebelles en armes, mais ce sont eux qui ont fait la différence. Encore plus important, le commandement stratégique et le renseignement, fournis par des stratèges à la retraite de l’Etat-major russe.
Des gens présents sur le terrain m’ont dit que le chef militaire en Novorussie, le colonel Strelkov (dont j’ai parlé dans la première partie de cet article) n’avait pas d’expérience du commandement dans des opérations à grande échelle, et que malgré son courage personnel il n’a pas pu mener à la victoire une force de 30 000 hommes. Apparemment on lui a demandé de laisser le commandement à des professionnels plus expérimentés. Ce sont eux qui ont rapidement amélioré la situation en stabilisant le lien entre la Russie et l’enclave tenue par les rebelles. L’armée de Kiev a été chassée des villes de Donetsk et de Lougansk.
Une force rebelle supplémentaire a franchi la vieille frontière entre Russie et Ukraine, s’enfonçant loin au sud de Donetsk et tout près de Marioupol, importante ville portuaire sur la mer d’Azov. La vitesse éclair de l’attaque de Marioupol a modifié l’équilibre sur le terrain. Après cela les rebelles ont pu avancer vers Melitopol, et viser même Kakhovka, site de batailles féroces lors de la guerre civile en 1919. S’ils devaient prendre Kakhova, ils pourraient parfaitement sécuriser toute la Novorussie ou même reprendre Kiev. Ces développements ont prouvé à Poroshenko qu’il avait besoin d’un cessez-le-feu. Il a accepté la formule de Minsk et l’armistice s’est mis en place. Les rebelles étaient outrés par l’armistice parce qu’ils ont eu l’impression qu’on leur volait la victoire, mais ils ont été convaincus par les Russes qu’il valait mieux préserver le Donbass.

Les sanctions

Pour le principal antagoniste de la Russie, les US, le cessez-le-feu était un recul mineur. Washington aurait préféré que les Russes de Russie et d’Ukraine s’entretuent, mais il fallait tenir compte de la faiblesse des forces de Kiev. En 1991, lors de l’implosion de l’URSS, l’Ukraine avait hérité d’une armée bien mieux équipée et plus forte que celle de la Russie, mais vingt ans de détournement en ont fait un organe affaibli. Lorsque l’armée de Kiev aura été vitaminée par les mercenaires occidentaux et par les soldats de l’Otan, la guerre pourra toujours se rallumer, à moins qu’un règlement politique intervienne d’ici là.
Pendant ce temps-là, les US ont appliqué plusieurs mesures de guerre économique contre la Russie. Le terme de sanctions nous égare. Des sanctions, à proprement parler, ce sont des actes d’une autorité légitime envers ses sujets; ainsi les sanctions du Conseil de Sécurité. Mais les mesures des US et de l’UE contre la Russie ne sont que des actes de guerre contre la Russie, menés par le biais économique.
Certaines “sanctions” visaient les plus puissants des Russes de l’entourage proche de Poutine. L’idée était d’amener ces homes puissants à comploter et à se débarrasser du ce président populaire. Ce cercle de personnalités sanctionnées s’est élargi jusqu’à inclure de nombreux parlementaires et homes d’affaire, tandis que les Russes ordinaires prenaient les sanctions à la légère, se réjouissant même des désagréments qu’elles causent aux richards de ce pays. Poutine a plaisanté, soulignant que les interdictions de voyager contre des législateurs au sommet leur laisseraient plus de temps pour s’occuper de leurs administrés.
D’autres sanctions visaient l’économie russe: les banques, le crédit ont été touches; les alliés des US se sont vus interdire de transférer leur technologie de pointe vers la Russie. Les Russes sont habitués à ce traitement, en fait: à l’époque soviétique, cela s’appelait le CoCom (le comité de coordination pour le contrôle multilatéral des exportations), un embargo sur l’approvisionnement en technologie de pointe pour les pays socialistes. C’était un obstacle puissant pour leur développement; si d’autres pays pouvaient acheter de la technologie de pointe ailleurs, par exemple au Japon, les Russes et les Chinois devaient la détourner ou la réinventer. Le CoCom est l’une des raisons pour lesquelles les soviétiques ont pris du retard, après la Deuxième Guerre mondiale, en comparaison avec les années 1930, quand les soviétiques pouvaient acquérir la technologie la plus pointue de l’époque, ce qu’ils n’ont pas manqué de faire. Apparemment, Obama a ressuscité le CoCom; et c’est là la menace la plus sérieuse contre la Russie jusqu’à maintenant.
Tout cela aura un effet puissant de différentes sortes, non seulement quant aux bénéfices pour la Russie mais aussi au niveau de leur façon de penser. Après 1991, la Russie a bradé plusieurs de ses propres industries, en particulier en matière d’aviation, et s’est mise à acheter des Boeings ou des Airbus. Maintenant, il va falloir qu’ils fabriquent leurs propres avions. La Russie est pleinement intégrée au système bancaire occidental et a placé des milliards en titres US. La Russie a utilisé ses bénéfices pétroliers pour acheter du fromage de Hollande, des pommes polonaises, du vin italien, tout en négligeant sa propre production d’aliments. Sous les sanctions occidentales, les Russes vont probablement renoncer à bien des actions de coopération internationale, et commencer ou recommencer à développer leurs propres industries et agriculture. Cela coûtera cher, les projets sociaux en souffriront. La prospérité des dix dernières années pourrait bien s’évanouir.
La Russie a appliqué des contre-sanctions avec modération. Ella a cessé d’importer des aliments des pays qui la sanctionnent, ce qui fait pression sur les producteurs agricoles européens. Cette mesure pourrait avoir du poids en Europe. En France, pour la première fois, cela peut amener Mme Le Pen du Front national à l’Elysée, dans la mesure où les deux partis officiels sont également liés aux US. La Finlande, la Slovaquie, la Grèce vont soupeser la possibilité de quitter l’UE aussi. En Russie, la classe pro-occidentale toute clinquante et caquetante était absolument scandalisée de la disparition des huîtres et du parmesan; les prix alimentaires ont grimpé partout, mais graduellement.

Les sanctions après le cessez-le-feu

Les Russes ont été sidérés par la réponse occidentale consistant à élargir encore les sanctions malgré le cessez-le-feu en Ukraine. Apparemment, ils pensaient et espéraient que la coexistence amicale antérieure avec les US allait reprendre dès qu’ils lâcheraient le fardeau de la Novorussie. Les élites au pouvoir en Russie étaient prêtes à accepter leurs lourdes pertes stratégiques en Ukraine et à vivre avec. Mais c’était compter sans les US, parce que Washington exigeait encore plus de sanctions.
Lentement, ce qui qui transpire c’est que pour l’administration US, la crise ukrainienne ne constituait guère qu’une explication plausible et un prétexte pour attaquer la Russie. Pour se trouver à couvert, Obama a ouvert le Second Front contre la Russie au Moyen Orient; ostensiblement, contre la chimère du Califat, mais en fait avec un tout autre objectif.
L’ISIS (ou ISIL, IS, Daish ou Califat) est un projet de néo-colonisation de la Syrie et de l’Irak. La technique nous est familière: les Anglo-américains créent un démon, le nourrissent jusqu’à ce qu’il atteigne son plein épanouissement, puis le détruisent et s’emparent du territoire. Ils avaient créé Hitler, ils l’ont soutenu, pour ensuite le démonisé et l’ont fait démolir par l’intermédiaire des Russes. L’Allemagne reste un pays occupé jusqu’à aujourd’hui. Al-Qaida a été créé dans les années 1980 pour combattre les Russes en Afghanistan puis a été utilisé pour créer le casus belli en 2001. Et l’Afghanistan est toujours occupé. L’ISIS a été mis en place pour combattre les Russes en Syrie, et maintenant, ils s’en servent pour bombarder l’Irak et la Syrie. Au final, les US vont contrôler et occuper tout le Croissant Fertile, avec l’Israël comme pièce maîtresse. Certaines personnes tournées vers la religion pourront y voir l’accomplissement de la prophétie du Grand Israël du Nil jusqu’à l’Euphrate.
Les Russes, comme les gens du Moyen Orient, ne croient pas à l’histoire officielle du sauvetage du monde menacé par l’ISIS. Ils se souviennent que tout récemment encore, l’ISIS était censé être une force modérée qui se battait pour la démocratie contre un tyran sanguinaire en Syrie. Ils pensent que les US utilisent leur joujou monstrueux pour briser l’Irak, créer un Kurdistan “indépendant”, bombarder la Syrie, chasser Bashar al Assad du pouvoir et dérouler un nouvel oléoduc depuis le Qatar via le Kurdistan et la Syrie jusqu’en Turquie et en Europe, rejetant la Russie hors du marché du gaz européen, de façon à assurer la chute des revenus russes et la fin des liaisons dangereuses entre Européens et Russes.
Les Russes n’aiment pas plus les extrémistes islamiques takfiristes que quiconque, de sorte qu’ils ont été surpris que dans l’esprit des mandarins US, il y ait une connexion entre ISIS et Russie. Robert Whitcomb, éditorialiste du Wall Street Journal dit dans un essai intitulé “Quelques vœux pieux à propos de Poutine et de l’Etat islamique” que tous deux sont en quelque sorte semblables dans leur pure perversité. “Nous pourrions sourire devant ces fresques de la Renaissance où de petits diables s’agitent. Nous ne voulons pas admettre qu’il y ait du diabolique dans notre univers. Mais si on regarde du côté de l’Etat islamique et du régime de Poutine, on réalise qu’en 1500 ces gens-là mijotaient déjà quelque chose (vous ne serez pas étonnés d’apprendre que Whitcomb déteste l’islam et adore l’Israël, n’est-ce-pas?)

Anne-Marie Slaughter, ancien membre du Département d’Etat et professeur à Princeton, a appelé à l’intervention en Syrie pour donner aux Russes une leçon: “la solution à la crise en Ukraine se trouve en partie en Syrie. C’est la reculade d’Obama sur la question du lancement de missiles sur la Syrie, en août de l’année dernière, qui a donné des ailes à Poutine pour annexer la Crimée. Il est temps de réorienter les calculs de Poutine, et la Syrie est le lieu indiqué pour cela. Une frappe US contre le gouvernement syrien maintenant modifierait la dynamique toute entière. Après la frappe, US, France, et Grande Bretagne demanderaient au Conseil de Sécurité un accord rétrospectif pour la décision prise, comme ils l’avaient fait pour le l’intervention de l’Otan au Kossovo en 1999. Et, ce qui est aussi important, les tirs US en Syrie résonneront puissamment en Russie.”

En Russie, il y a quelques voix pour appeler au soutien des frappes US en Syrie. D’importants politiciens et parlementaires proposent de refaire le coup de 2001, quand les Russes ont soutenu la guerre US contre le terrorisme, malgré des conséquences fâcheuses. (Rappel; depuis 2001, l’Afghanistan est occupé par les US et le trafic de drogues en direction de la Russie et de l’Europe s’est multiplié par vingt). En fait, il y a beaucoup de politiciens pro-occidentaux au pouvoir en Russie, et particulièrement dans les medias russes. Jadis, l’Occident avait la liberté d’expression, tandis que la Russie soviétique parlait d’une seule voix. Maintenant, les choses se sont inversées: la Russie jouit du pluralisme des points de vue et de la liberté d’expression, tandis qu’à l’Ouest, les points de vue alternatifs n’existent que dans les marges du discours public.
Pourquoi les US veulent-ils tellement soumettre la Russie, alors que la Russie n’a pas d’ambitions disproportionnées et qu’elle est généralement accommodante face aux exigences US? Les US, c’est quelque chose de spécial, car ces héritiers de l’empire britannique guidés par l’esprit juif sont le seul pays qui ait jamais été mu par le désir unique, ruineux et pesant de commander l’ensemble de la planète Terre. Ils envisagent toute force indépendante dans l’univers comme un défi intolérable. Ils pensent que la Russie avec ses armes nucléaires et sa population éduquée peut devenir trop forte et désobéissante. La Russie est un mauvais exemple pour l’Europe, le Japon, la Chine, l’Inde aussi, car ces pays pourraient basculer vers l’indépendance. La Russie avec son pétrole et son gaz peut miner le statut du dollar en tant que monnaie internationale. Les armes russes pourraient protéger l’Iran et la Syrie de la colère américaine.
Pour toutes ces raisons, une guerre entre les US et ses relais contre la Russie semble très probable. La Syrie et l’Ukraine sont deux champs de bataille en perspective où l’affrontement des volontés précède la bataille d’acier. La guerre peut être conventionnelle ou nucléaire, régionale ou à l’échelle mondiale. L’enjeu, c’est la domination globale des US sur tous les plans. Nombreux sont les Russes qui préfèreront une guerre à ce projet sinistre.

Traduction: Maria Poumier
Contact: adam@israelshamir.net

  

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