Contentieux israélo-palestinien : « Pour la pleine égalité entre Palestiniens
natifs et d’adoption »
par Israël Shamir
lundi 6 décembre 2010
http://www.geopolintel.fr/article329.html
L’entretien de Geopolintel avec Israël Adam Shamir a été réalisé afin de laisser
libre l’expression de chacun sur le conflit Israélo-Palestinien. Même si nous ne
partageons pas l’intégralité de cette réflexion, elle a le mérite d’être et de
nous forcer à imaginer qu’un jour cette guerre finira.
Concernant la formidable percée médiatique de l’affaire Wikileaks évoquée en fin
d’entretien et la « source d’informations » qu’elle est supposée être, nous vous
renvoyons à notre dossier « Les Sept Sacrifiés du Mensonge »
http://www.geopolintel.fr/rubrique2... avec cette phrase mythique sur la
désinformation :« La stratégie militaire doit désormais être pensée en fonction
de la couverture télévisuelle [car] si l’opinion publique est avec vous, rien ne
peut vous résister ; sans elle, le pouvoir est impuissant. » M. Michael K.
Deaver, spécialiste de la guerre psychologique.
Réflexions autour de la solution d’un seul État pour deux peuples, avec Israël
Adam Shamir*
Geopolintel - Israël Shamir, la France découvre une nouvelle facette de votre
œuvre, avec la publication de votre ouvrage « Le Pin et l’Oliver » aux Éditions
belges Oser Dire. On connaissait surtout de vous « L’Autre Visage d’Israël »,
livre qui avait provoqué la grande colère des bien-pensants qui avaient tenté
d’en interdire la diffusion, mais en vain ! Le Pin et l’Olivier est une histoire
de la Palestine, des origines à nos jours, rédigée à la façon des guides de
voyage de jadis, à partir de vos explorations personnelles des paysages, des
ruines, du choc entre l’emprise traditionnelle de l’olivier, généreux,
millénaire et raffiné, et de son remplacement brutal par les plantations de
pins, sommaire, emblème d’immigrants totalement étrangers au monde méditerranéen,
venus de Pologne ou de Russie. Quand vous avez publié ce livre dans son édition
originale russe, en 1987, vingt ans après les annexions de 1967, croyiez-vous
alors que les juifs seraient capables de se « palestiniser » ? Quelles étaient
précisément vos raisons d’espérer ? N’était-ce pas déjà trop tard ou, en vérité,
tout à fait illusoire ?
Israël Adam Shamir - C’est en 1986 que j’ai fini d’écrire Le Pin et l’Olivier.
C’était avant l’Intifada, une époque encore relativement agréable, le moment
culminant de l’intégration. La jeunesse juive portait le keffieh, utilisait des
quantités de termes arabes ; l’osmose se faisait au quotidien, les Palestiniens
avaient du travail dans tous les domaines : en particulier le bâtiment et les
travaux durs, qui leur rapportaient ce qu’ils estimaient être des gains honnêtes.
Pas de checkpoints, un adolescent palestinien pouvait aller se baigner dans la
Méditerranée, travailler à Tel Aviv, faire la cour à une adolescente juive. Et
un jeune homme juif pouvait aller se promener dans les villages palestiniens
comme je le faisais. Avant l’Intifada, les choses pouvaient évoluer dans le sens
de l’intégration. On n’en était pas encore au schéma abrupt « les Juifs au
sommet, les Arabes tout en bas ». Certes les fils d’Ashkénazes nés sur place,
les Sabras, étaient en haut de la pyramide, mais les Palestiniens qui avaient de
la terre et de l’instruction pouvaient se retrouver au-dessus des Juifs
orientaux et au-dessus ou au même niveau que les nouveaux immigrants (russes,
américains, etc). Si bien que la solution était non seulement possible, mais
probable ! Quand je parle avec des Palestiniens maintenant, ils sont tous
d’accord pour dire que l’étape précédant l’Intifada était ce qu’ils avaient
connu de mieux. Pourquoi l’Intifada a-t-elle éclaté ? La machine législative
israélienne (conduite par la Cour Suprême actuelle) a inventé un méchant truc :
ils ont prétendu que toute la terre non-privatisée de Palestine (et c’était la
part du lion car la privatisation des terres était loin d’être achevée)
appartenait à l’État juif et pouvait être attribuée aux Juifs. C’était le signal
de la rafle des terres, et c’est ce qui a conduit à l’explosion. Quant à mon
livre Le Pin et l’Olivier, il vient de reparaître en Russie, avec un succès
certain. Pour cette nouvelle édition, j’ai vérifié des centaines de références
et corrigé de nombreuses erreurs... J’espère qu’une prochaine réédition
française pourra tenir compte de tous ces nouveaux apports.
GPL - En 2000, quand l’Intifada a recommencé, tous les militants pro-palestiniens
interprétaient à tort votre projet d’un seul Etat comme un seul État sous
direction uniquement palestinienne. À ce moment là, dans quelle mesure cela
semblait-il possible ou simplement réaliste ?
Israël Adam Shamir - Il ne s’agissait pas exactement pour moi d’envisager un
gouvernement par les Palestiniens : je suis pour une certaine direction
palestinienne, oui, pour certains avantages pour les Palestiniens de souche, oui
; pais pas pour créer un État où je me retrouverais moi-même limité dans mes
droits. Je ne suis pas masochiste à ce point, mais je crois à l’Égalité. Un État
pour tous, c’est l’idée de l’égalité, que les Juifs en Palestine soient les
égaux des Palestiniens en droit, exactement comme les Juifs en France sont les
égaux des fils de la Gaule. Et cette solution n’était pas seulement possible,
elle était réaliste, et elle le reste. Le problème, c’est que les juifs ne
s’orientent pas vers le compromis. Au contraire ils veulent doubler la mise dans
l’espoir de gagner sur toute la ligne. La force, et toujours plus de force,
voilà leur mode opératoire. Ils ont cru qu’ils pourraient ne pas céder d’un
pouce. Et ils ont installé des checkpoints, puis le mur, et la solution,
raisonnable, d’un seul État pour deux peuples, s’est éloignée.
GPL - Au cours de ces dix dernières années, vous avez fait un travail
considérable pour délégitimer la domination israélienne en Palestine historique :
aujourd’hui quel est à ce propos votre bilan ?
Israël Adam Shamir - Franchement, il y a une grande évolution : il y a dix ans,
l’idée d’un « seul État » était virtuellement passée à la trappe, maintenant
elle est à nouveau sur le devant de la scène. L’histoire de la Palestine n’a pas
été oubliée, elle n’a pas été condamnée à l’oubli. Les gens ont appris à ne plus
avoir peur de la colère juive. Le mouvement pro-palestinien et le mouvement pour
la paix juifs ont commencé à se libérer de l’emprise des militants juifs
nationalistes, notamment grâce aux Anglais Gilad Atzmon et Jeff Blankfort, aux
Français Maria Poumier et Marcel Charbonnier, à l’italien Claudio Moffa, aux
Américains Walt et Mearsheimer, à James Petras et à d’autres hommes et femmes
qui ont rejeté l’idée d’une suprématie juive sur la Terre de Palestine et qui se
sont exprimés ouvertement sur le « Lobby », sur le pouvoir d’influence juif
soft. Il y a encore beaucoup de travail à faire, mais déjà tellement de gens ont
maintenant repris le flambeau !
GPL - Vous avez apporté une image de jeunesse renouvelée au christianisme par
votre conversion à l’Orthodoxie. À votre avis les chrétiens qui vous connaissent
au Proche-Orient et ailleurs ont-ils bien compris ou bien interprété votre geste ?
Israël Adam Shamir - Là je n’en suis pas si sûr. Au Proche-Orient, les chrétiens
constituent des communautés ethno-religieuses, exactement comme les juifs ; ils
sont nés au sein de communautés définies par leur croyance. Pour eux, c’est à
peu près comme une couleur de peau. Ils m’ont d’ailleurs très bien traité, et je
n’ai aucun reproche à leur faire. En Occident, l’Église catholique est en train
d’essayer de faire une place aux juifs, et mon message était trop fort pour eux
; ce qui ne m’empêche pas de maintenir de bonnes relations avec celle-ci. Pour
ce qui est de l’Église russe, j’apprécie énormément son culte. Il y a des
problèmes, parce que le monde n’est pas habitué à un discours orienté
religieusement. Il y a beaucoup de gens qui cliquent sur la touche « supprimer »
dès qu’ils voient une référence au divin.
GPL - En 2010, vous semblez résigné à faire avancer ce projet d’un seul État,
mais sous direction israélienne, dans l’idée que la minorité palestinienne sera
capable de faire abolir progressivement toutes les lois discriminatoires et
ségrégationnistes et en outre, d’obtenir des dédommagements matériels pour les
expulsions et les confiscations des biens des « absents » ?
Israël Adam Shamir - C’est possible ; cette solution serait acceptable pour la
majorité des Palestiniens qui habitent en Palestine, à condition seulement que
cela ne tarde pas trop. Je suis sûr que parmi la diaspora palestinienne il y a
des gens qui rejetteraient toute solution, absolument toute solution, et c’est
classique dans toutes les diasporas, qu’il s’agisse des Juifs, des Arméniens,
des Irlandais… Tous ceux-là ne comprennent pas ou ne veulent pas comprendre la
nécessité du compromis. Mais je ne suis pas sûr que les élites israéliennes
accepteraient de s’orienter dans ce sens, ou d’ailleurs dans aucun autre sens.
Pour ma part, je soutiendrais toute décision qui refera l’unité entre les natifs
et la terre.
GPL - Qu’en est-il de la menace nucléaire israélienne ? Comment la neutraliser ?
Israël Adam Shamir - Elle pourrait être neutralisée sur le champ en même temps
que toutes les autres menaces israéliennes, en même temps que l’apartheid. Mais
je crois qu’on perd son temps à parler de désarmement nucléaire dans la
situation actuelle. C’est pourquoi il y a une autre solution, qui est celle de
l’armement nucléaire de l’Iran. Cela créera un « MAD »**, un contexte potentiel
de destruction mutuellement assurée, ce qui neutralisera de facto la menace
nucléaire israélienne.
GPL - Vous souhaitez par ailleurs une sorte de résurrection de l’empire ottoman
dans lequel un nouvel État israélo-palestinien s’intègrerait naturellement.
Quels sont les paramètres géopolitiques qui vous amènent à penser que cela
puisse être réalisable à court ou moyen terme ?
Israël Adam Shamir - Nous entrons dans une époque de grands chambardements ; la
zone que j’appelle “le grand espace post-byzantin” est à la recherche d’une
redéfinition géographique. Cet espace inclut la Russie, les Balkans, le Moyen
Orient, la Turquie. Il est en train de se libérer de l’ascendant occidental
européen et américain. La Palestine aussi fait partie de la Région ; or avec
l’achèvement de la décolonisation, le projet sioniste arrivera à sa date
d’expiration.
GPL - Misez-vous toujours autant sur le facteur spirituel, sur la conversion des
juifs israéliens à la loyauté envers la terre de Palestine plutôt que sur la
logique du sang, avec la mythologie de la supériorité ethnique, du peuple élu
au-dessus de toutes les lois internationales et de facto s’arrogeant tous les
droits ?
Israël Adam Shamir - Oui, sans restriction. Quand un mythe meurt, il est bon
qu’un autre mythe prenne sa place. Le mythe du sang disparaîtra, le mythe de la
terre mère commune le remplacera.
GPL - Vous vous identifiez à l’immigration russe en Israël. Pourquoi celle-ci ne
vous soutient-elle pas mieux, pourquoi se laisse t-elle représenter par un
fanatique comme l’actuel ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman ?
Israël Adam Shamir - En fait les Israéliens russes, ou encore les Russes
israéliens, m’aiment plutôt bien. Après tout, j’ai vécu parmi eux pendant tant
d’années. Ils se souviennent toujours de moi chaque fois qu’ils parlent de la
Terre Sainte réelle, de ses villages. Encore aujourd’hui, tout en écrivant ici,
je découvre sur Google que certaines communautés russo-israéliennes sur Internet
reprennent des pages entières de mon livre Le Pin et l’Olivier et le qualifient
de « suprême », de « divin », que sais-je encore ? Pour ce qui est de Lieberman,
il est très riche et bénéficie d’un énorme soutien financier, alors que je n’en
ai aucun ; quand mes adversaires m’ont qualifié d’« antisémite », beaucoup de
mes amis de jadis ont pris la tangente. Mais pour moi, comme dit votre chanteuse
nationale, Édith Piaf, « Non, rien de rien, non je ne regrette rien… » !
GPL – On comprend que Lieberman, le va-t-en-guerre qui à grands cris pousse à
une offensive contre l’Iran, soit bien soutenu, et sans doute de façon très
diversifiée. En 2008, dans votre recueil d’articles « La Bataille du Discours »,
vous montriez comment aux États-Unis le lobby pro-israélien se montrait capable
de rallier à la fois les gauches et les droites occidentales autour d’opérations
de propagande, de préparation psychologique aux guerres d’agression... Celles
que nous connaissons et celles éventuellement à venir. Aujourd’hui, de quelle
campagne de propagande allez-vous démonter les mécanismes ? Sur quel nouveau
champ de bataille comptez-vous vous engager ?
Israël Adam Shamir – Actuellement j’essaie d’exploiter à fond les documents de
Wikileaks, pour parvenir à nos objectifs. Ils révèlent tant de choses sur les
projets des États-Unis et d’Israël ! Je pense que c’est là dessus qu’il faut
foncer, en ce moment ! On découvre que le pouvoir des É-U a atteint un sommet
dans les années 1990 et qu’il commence à décliner. Les « mégafuites » de
Wikileaks sont à ce titre, plutôt qu’une cause, un symptôme de ce déclin. Avec
un peu de chance, les hommes de bonne volonté du monde entier pourront à présent
travailler main dans la main pour désarmer la machinerie de la domination
étrangère. Les Américains sont ceux qui ont le moins profité des menées
violentes et invasives de la politique de globalisation. Des personnages
héroïques comme Julian Assange nous conduisent vers une prise de contrôle
authentiquement locale, et nous éloignent ainsi des conjurations oligarchiques
style Matrix.
Moscou-Londres, 30 novembre 2010
Traduction : Maria Poumier
* Israël Shamir est un écrivain, traducteur et journaliste russo-israélien, né à
Novossibirsk en 1951 ; petit-fils d’un professeur de mathématiques, il est le
descendant d’un rabbin de Tibériade. À partir de 1980, Israël Shamir écrit pour
deux quotidiens israéliens : Haaretz et Al Hamishmaret et devient le porte-parole
du Parti socialiste israélien (Mapam) à la Knesset. Il est également le
traducteur en russe de l’œuvre de S.Y. Agnon seul écrivain hébreu a avoir été
lauréat du Prix Nobel de littérature. Son œuvre la plus populaire, Le Pin et
l’Olivier, retrace l’histoire de la Palestine/Israël, elle a été publiée en
russe en 1988. Depuis la deuxième Intifada, Israël Shamir s’est consacré au
journalisme sur internet via son site multilingue http://www.israelshamir.net/
** Destruction mutuelle assurée – L’acronyme Mad signifie « fou » en langue
anglaise
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