Fisk est à côté de la plaque
par Israel Shamir
22 mars 2009
traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
Voici, de cela, quelques jours, le grand journaliste anglais
Robert Fisk a écrit : « Voici pourquoi Avigdor Lieberman est la pire des choses
qui puissent arriver au Moyen-Orient ». Même si nous aimons bien Fisk, nous
devons dire qu’il s’est gouré ; il a été emporté par ce passe-temps populaire
qu’est l’éreintage de Lieberman : il y a bel et bien quelque chose de pire qui
est en train de se passer, juste en ce moment précis, au Moyen-Orient. C’est le
fait qu’Ehud Barak, le chef du parti travailliste, est devenu le ministre de la
Défense du gouvernement Netanyahu. Alors qu’un gouvernement étroitement de
droite, composé de Netanyahu et Lieberman, serait le paria du monde, isolé et
hésitant, le même gouvernement, mais avec Ehud Barak à un poste essentiel, sera
entièrement accepté par la communauté internationale. Il semble que Barak va
contraindre son parti décimé à rejoindre la coalition gouvernementale, et qu’il
sera ministre de la Défense, avec des conséquences désastreuses pour le
Moyen-Orient.
Ehud Barak est cet homme qui, voici quelques mois seulement,
attaqua Gaza ; il est entièrement responsable des atrocités qui y ont été
commises. Si les propos tenus par Avigdor Lieberman sont manifestement
irresponsables et flattent les pires instincts des Israéliens, ses aboiements
sont considérablement pires que ses morsures. Ehud Barak a déversé des tonnes de
mépris sur Lieberman au motif que celui-ci n’a, en réalité, jamais dessoudé
personne. Il n’a jamais pressé sur une gâchette de colère, a tranché Barak
(alors que lui, Barak, si…).
De fait, Barak, Livni et Netanyahu sont unis par leur passé :
tous trois furent (sont encore ?) des tueurs professionnels. Livni, comme nous
l’avons appris juste avant le jour des élections, a servi au Kidon, l’unité
d’assassinats du Mossad. Elle était tueuse professionnelle, et elle aurait
empoisonné un scientifique arabe lors d’un dîner, à Paris. Barak s’est rendu
célèbre en assassinant un civil non armé, le poète palestinien Kamal Nassir, à
Beyrouth. Netanyahu, quant à lui, a servi dans la Sayeret Matkal, l’unité des
exécutions ciblées de « Tsahal ».
Naturellement, Lieberman se doit d’être beaucoup plus violent,
en paroles, s’il veut se maintenir au niveau de ces assassins professionnels,
dans l’attention de l’opinion publique. Mais il n’a encore tué personne. Toutes
ses menaces n’étaient rien d’autre que du vent, destiné à la consommation
intérieure.
Mais vous n’êtes pas obligés de me croire. L’ex-président du
parti Meretz, M. Yossi Beilin, a révélé que l’homme fort de l’Autorité
« nationale » palestinienne, l’homme fort Mohammed Dahlan, lui a dit : « Il y a
deux personnes que le camp de la paix ne comprend pas, et en cela il se goure
gravement : Aryeh Deri et Avigdor Lieberman. Ces deux hommes-là pourraient jouer
un rôle clé dans l’instauration d’une paix, mais au lieu de les faire se
rapprocher de vous, vous les envoyez chier. » De fait, les Marocains, emmenés
par Deri, et les Russes, emmenés par Lieberman, pourraient parvenir à la paix
avec les Palestiniens si une minorité gouvernante, celle, inamovible, de l’élite
blanche ashkénaze, envisageait un jour une authentique option de paix. Une tâche
importante, pour les médias libres, consisterait à démasquer le véritable
obstacle à la paix et à éviter de tomber dans le piège consistant à ostraciser
un outsider, Lieberman, et à en faire un bouc émissaire.
En attendant, c’est Barak (et non pas Lieberman, ni Netanyahu)
qui incarne le principal danger immédiat pour la région. Le poète hébraïsant
Yitzhak Laor, qui y voit clair, a rappelé, dans les colonnes d’Ha’aretz : « Ce
n’est que durant le mandat de Premier ministre de Netanyahu qu’Israël ne s’est
embarqué dans aucune opération consistant à raser au sol des villages et des
villes, en massacrant des civils, comme l’Opération Reddition des Comptes
(1993), l’Opération Les Raisins de la Colère (1996), la deuxième guerre au Liban
(2006) et l’opération Plomb Coulé – autant de guerres déclenchées et menées par
des gouvernements de centre-droit.
Benjamin Netanyahu se voit rappeler en permanence son unique
péché : avoir ouvert le Tunnel du Mur occidental, en 1996. Mais, d’un autre
côté, on ne lui rappelle jamais que cette violente confrontation n’avait pas
dégénéré en véritable bain de sang : cela n’était pas devenu une énième
opération résultant en des centaines de morts, en des milliers de personnes
mutilées et en une multitude de réfugiés…
Quatre ans après l’incident du Tunnel du Mur Occidental (dit des
Lamentations, ndt), qui s’était produit en 2000, Ehud Barak, cet ange de paix
qui accéda au pouvoir avec le soutien écrasant de la gauche israélienne afin de
mettre à l’écart le « fomenteur de guerres Netanyahu » a tiré profit de la
provocation de Sharon sur l’Esplanade des Mosquées (le Mont du Temple). Barak
donna l’ordre à la police d’exécuter un de ses plans ourdis à l’avance, et
d’écraser ce qui allait devenir la deuxième Intifada.
Le demi-million de munitions tirées durant les premiers mois de
l’Intifada, avant même que les attentats-suicides eurent débuté, l’ont été sur
les ordres d’un gouvernement de gauche. Et les gens de gauche – dans les rues,
dans l’université et dans le monde littéraire – continuent à soutenir Barak et
ses guerres. »
Loin d’être fasciste, Lieberman a un programme laïc et
progressiste. Shahar Ilan, du Ha’aretz, a conseillé au parti de gauche Meretz de
se tourner « vers le public laïc de la classe moyenne, vers ceux pour qui la
séparation de la religion et de l’Etat, la coercition religieuse, la
discrimination en fonction de lignées raciales et le problème de l’extorsion des
Harédis sont non moins importants que le processus de paix : (vers) ceux qui ont
voté pour Nir Barkat, ceux qui ont conquis Jérusalem sans coup férir et chassé
la loi des Harédis des rues de la ville. La liste des opprimés de la société
israélienne comporte quelque 300 000 personnes, qui ne sont les adeptes d’aucune
religion, qui ne peuvent se marier en Israël et dont l’adoption du judaïsme est
bloquée par l’establishment rabbinique. On y trouve des centaines de milliers de
couples qui ont divorcé et qui sont contraints de subir un processus humiliant
devant les tribunaux rabbiniques. »
Ces gens ne rejoignent pas le Meretz. Non : ils vont chez
Lieberman et se rangent sous sa bannière laïque-libérale. Ne vous y trompez
pas : il n’y a là, de ma part, aucun jugement de valeur. Le laïcisme peut être
extrêmement cruel, comme l’ont démontré Lénine et Atatürk. D’ailleurs, Nir
Barkat, le nouveau maire laïc-libéral de Jérusalem, a inauguré son mandat en
détruisant des maisons arabes, dans le quartier de Silwan…
Lieberman est plutôt quelqu’un de comique. Sa marotte, exiger
des Palestiniens qu’ils jurent leur loyauté envers l’Etat juif a été empruntée
mot pour mot au roman satirique Catch-22 de Joseph Heller. « Tous les hommes
bons pour le service et tous les officiers d’active doivent signer un engagement
de loyauté afin d’obtenir leur porte-document contenant leurs cartes
d’état-major, dans la tente du renseignement, un deuxième engagement de loyauté
afin de recevoir leur uniforme et leur parachute, à la tente des parachutes, et
un troisième jurement de fidélité auprès de l’officier mécanicien, afin d’être
autorisés à monter dans un des camions qui les amènera depuis leur escadron
jusqu’au terrain d’aviation. A chaque fois qu’ils se retournaient, les troufions
avaient toujours quelque nouvel engagement sur l’honneur à signer. Ils signaient
un serment de loyauté pour obtenir leur solde de la part de l’officier des
finances, ils devaient en signer un pour obtenir des balles pour leur flingue
PX… Et même, s’ils voulaient que les figaros italiens leur coupassent les tifs,
ils devaient leur signer un serment de patriotisme… » Cette proposition absurde
de Lieberman n’avait strictement aucune chance de passer, mais elle a donné à
Lieberman une publicité appréciable.
Pourquoi un journaliste aussi expérimenté que Fisk a-t-il commis
de telles erreurs de jugement ? Il avait entendu Lieberman faire référence à la
Tchétchénie, en en faisant un exemple positif, et il y a vu une menace :
« Attention, ou nous vous ferons subir ce que les Russes ont fait subir à la
Tchétchénie ! »… Erreur, là encore : les Palestiniens aimeraient drôlement se
retrouver à la place des Tchétchènes…
La campagne militaire sanglante et cruelle de Moscou contre les
séparatistes de la Tchétchénie ne doivent pas occulter les avantages dont
jouissent les Tchétchènes : ils sont citoyens de la Russie ; ils sont libres de
se rendre partout où ils le désirent, dans toute la Russie, et ils ont aussi le
droit d’aller à l’étranger et d’en revenir. Des Tchétchènes occupent plusieurs
responsabilités éminentes, en Russie ; c’est par exemple le cas du
vice-président du Parlement. La majorité des Palestiniens n’ont pas la
citoyenneté israélienne et ils ne sont pas autorisés à circuler et à travailler,
ni même à se rendre à l’étranger. Entre autres, Israël interdit au directeur
général de l’organisation palestinienne de défense des droits de l’homme Al-Haqq,
M. Shawan Jabarin, de se rendre aux Pays-Bas, où on l’attend afin de lui
remettre une distinction officielle. La Cour suprême israélienne a confirmé la
décision du Shin Bet à son encontre. Les Tchétchènes, eux, voyagent librement ;
la Tchétchénie n’est pas un bantoustan ; les Tchétchènes, de surcroît, jouissent
du soutien de l’Occident, ce qui n’est (hélas) pas le cas des Palestiniens.
Fisk compare ensuite Lieberman aux dirigeants serbes de
l’ex-Yougoslavie. Là encore : une comparaison sans fondement ! Beaucoup des
accusations lancées contre les Serbes de Yougoslavie ont été retoquées par la
merveilleuse Diana Johnstone, cependant que les crimes perpétrés dans les
Balkans par les bombardiers anglais, allemands et américains ont été largement
dénoncés et sont désormais largement connus. Fisk traite Lieberman
de « nationaliste russe », mais cela ne montre rien d’autre, en définitive, que
l’éternelle suspicion des Britanniques envers les Russes…
Lieberman n’est certes pas canon ; mais ce n’est pas l’ogre que
veulent bien nous présenter les élites israéliennes. Nous devons, en revanche,
nous méfier comme de la peste des politiciens israéliens propres sur eux, au
premier chef desquels Ehud Barak, qui n’hésitera sans doute pas à attaquer
l’Iran. A seule fin de se maintenir au pouvoir.
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