C’est
pas de jeu
par
Israël Shamir 19.12.2004
Dans
sa livraison de septembre 2004, la revue américaine de gauche
Socialist Viewpoint a publié une attaque féroce contre ma
personne, intitulée « Israël Shamir : un loup déguisé
en mouton », propos diffamatoires écrits par un certain
Roland Rance.
Permanent
d’un syndicat britannique groupusculaire, Rance est un des
dirigeants d’une organisation de gauche intitulée Juifs contre
le Sionisme [Jews against Zionism]. En dépit de leur intitulé,
les Juifs contre le Sionisme consacrent le plus clair de leur
temps à porter plainte contre des « antisémites » et
à chanter les laudes du judaïsme et de la judéité.
Rance
vise au-dessous de la ceinture (sans doute parce qu’il est
incapable d’atteindre plus haut). Au lieu de discuter mes idées,
il lance une attaque personnelle à mon encontre : « La
biographie de Shamir [1] relève de la science-fiction :
petit-fils d’un rabbin, parachutiste dans l’armée israélienne,
a traduit Agnon, Herzog, Joyce et le Talmud en russe, porte-parole
parlementaire du Mapam, a travaillé à la BBC… Je n’en crois
pas un mot ! »
Rance
est totalement libre de croire ce qu’il veut. Il peut croire en
la théorie voulant que la Terre est plate, et rejeter les idées
de Copernic et de Galilée. Toutefois, si la revue Socialist
Viewpoint tient à conserver sa crédibilité, elle ne peut
publier ce genre d’idioties sans sourciller.
*
Mes traduction d’Agnon et de Joyce ont été publiées et
republiées en Russie et ailleurs, voir ISBN 45-85220-487-0 et
ISBN 5-05-005113-4 et
elles sont en ligne sur plusieurs sites web, voir
http://www.israelshamir.net/ru/agnon.htm
http://www.israelshamir.net/ru/ulysse.htm
ma
traduction d’Herzog a été publiée à Londres Nina Karsov, en
1986. Voir :
http://hedir.openu.ac.il/kurs/pol-bibliogr.html
ma
traduction du talmud et de textes afférents est également
disponible sur la toile :
http://www.israelshamir.net/talmud/indexoftalmud.html
.
*
Quant à mon passé de parachutiste, on pourra lire une autre
basse attaque personnelle publiée contre moi par le quotidien
israélien d’extrême droite Maariv, sous le titre :
« Un parachutiste israélien devient la coqueluche des antisémites ».
Ben Dror Yamini, l’auteur de cet « exposé » qui
fait huit pages, a rencontré beaucoup de gens qui me connaissent,
recueilli des ragots sur mon humble personne ; mais il n’a
jamais tenté de me voler mon béret rouge durement gagné.
*
Un coup de fil aux services du personnel de la BBC aurait suffi à
confirmer que j’ai eu le plaisir d’appartenir aux effectifs de
cette radio ; les militants du Mapam se souviennent de moi,
qui ai été le porte-parole de leur groupe parlementaire,
partageant cette responsabilité avec ce journaliste israélien
arc-bouté à me diffamer et à dénoncer mes opinions de gauche
*
Mon vénérable ancêtre, non pas un grand-père (mon grand-père,
professeur de maths (sans doute encore une « pure invention »
était parfaitement agnostique), mais mon arrière-grand-père, était
un rabbin très connu de Tibériade, et son fils a créé une
synagogue portant son nom à Stockholm (Suède). Il suffit de lire
la plaque qui y est apposée, et qui en atteste.
*
Pour des raisons d’espace et de temps, je ne démonterai pas
toutes ses autres affirmations scandaleuses, prises verbatim des
sites ouèbes sionistes de droite Camera.org et Masada2000.
Rance
est un malhonnête notoire. Il écrit : « Le fils de
Shamir a été expulsé d’Israël vers la Suède », sans
dire qu’il a été expulsé d’Israël pour avoir enfreint le
siège imposé par l’armée israélienne autour de l’Eglise de
la Nativité à Bethléem, et pour avoir apporté du
ravitaillement aux Palestiniens qui y étaient assiégés.
Ce
Rance est particulièrement malhonnête. Voici ce qu’il ose dire :
« Shamir a forwardé un message émanant de
l’universitaire Sue Blackwell, de l’université de Birmingham,
laissant apparaître ses coordonnées [ce qui représentait] une
menace sérieuse pour la sécurité physique des activistes ».
Mais cela ne l’a nullement empêché de publier les adresses et
numéros de téléphone de ma famille suédoise, bien que cela
représente un danger évident pour elle. Aimerait-il voir ainsi
son adresse et numéro de téléphone publiés [2] publiés ?
Voilà qui mérite tout simplement un carton rouge !
Pourquoi
joue-t-il un jeu tellement brutal ? L’article de Rance se résume
en quelques mots : « Shamir n’est pas juif ».
Il écrit : « Shamir est un Russe de droite, qui se
fait passer pour un gauchiste juif israélien… Je suis sûr
qu’il était chrétien, mais qu’il trouvait expédient de se
faire passer pour juif ». Cette tirade est mise en exergue
par l’éditeur dans son introduction à la diffamation intitulée :
« Shamir s’est fait passer pour un juif russe ». Un
non-juif – pire : un chrétien… – n’est pas digne
d’être traité équitablement. Lorsqu’on a affaire à un goy,
nul besoin de respecter les lois de la guerre, d’après Rance,
ou d’après Socialist Viewpoint, cette « revue marxiste révolutionnaire »
éditée et publiée par Weinstein, Seligman et LeClair. Le titre
de la diffamation convoie le même message raciste : un loup
russe chrétien se dissimule sous la toison d’un mouton juif…
*
J’ai du mal à digérer l’insinuation du subterfuge, mais
cette insistance raciste sur l’atavisme juif est tout aussi
inadmissible. Pour mémoire : adoptant la position de Marx et
de Simone Weil, je dénonce (et cela ne date pas d’hier) la perpétuation
de l’identité juive. Dans une interview publiée par Socialist
Viewpoint, en 2001, j’ai indiqué : « Je suis contre
l’existence d’un Etat juif, en tant que tel. Pour moi, les
juifs, en Palestine, doivent devenir Palestiniens, et les juifs de
France doivent devenir Français. » Cette attitude n’est
pas exclusivement marxiste : Sir Carl Popper a refusé d’être
couché dans l’Encyclopédie Juive (anglaise) [Judaic
Encyclopaedia], disant qu’il « avait coupé tout lien tant
avec la religion qu’avec la communauté juives ».
Personnellement,
j’ai cessé volontairement d’être un juif lorsque j’ai
rejoint l’Eglise Orthodoxe de Terre Sainte. Mais ce n’est pas
la seule manière de jeter le froc aux orties : des centaines
d’Israéliens ont adressé une pétition à la Cour Suprême
israélienne afin de demander d’être destitués de leur
« nationalité juive » et d’être déclarés
citoyens « Israéliens » ou « Palestiniens ».
Deux millions de citoyens israéliens – Palestiniens, Russes et
Ethiopiens – ne sont pas considérés « juifs » par
l’Etat juif, et ne le souhaitent d’ailleurs pas. Des centaines
de milliers, sinon des millions d’Israéliens (pour beaucoup
d’entre eux, originaires de l’ex-URSS, célèbre pour son éducation
internationaliste) sont considérés comme « juifs »,
mais n’en veulent pas moins se débarrasser de leur exclusivisme
juif. Ils veulent être Israéliens, ou Palestiniens. Mais ils ne
veulent pas être : juifs.
Ce
n’est pas là pinaillage académique. L’âme israélienne est
une arène où se déroule une lutte entre deux forces, entre deux
loyautés : celle envers la terre et celle envers le Peuple
Juif dans le monde entier. La loyauté envers le territoire est
susceptible de fournir une base à une unité complète avec le
peuple palestinien indigène. La loyauté envers la juiverie
mondiale (Am Israel) est au fondement de notre xénophobie, du Mur,
de l’Etat (israélien) d’Apartheid. Les Palestiniens se voient
dénier toute égalité de droits afin de maintenir l’ « identité
juive » de l’Etat. Les crimes les plus horribles du
sionisme sont perpétrés au nom du Peuple Juif ; la « Judéité »
est le moteur de l’épuration ethnique dans notre pays. Aussi
notre combat contre « l’identité juive de l’Etat »
est un élément spirituel fondamental de notre combat pour la démocratie
en Palestine.
Mais
la Juiverie mondiale réplique et frappe en retour afin de
conserver son emprise sur nos âmes. Roland Rance est un agent
avancé de l’influence judaïque : il veut que nous, les
Israéliens, soyons juifs. De fait, en tant que membre du Parti
Socialiste des Travailleurs, il s’est déclaré favorable au
« remplacement de l’Etat juif par un Etat judéo-arabe démocratique
et laïc de Palestine » [3]. Sa motion a été immédiatement
repoussée, car les « Arabes » et les « Juifs »
ne représentent pas deux nations. Les « Arabes »
constituent un groupe linguistique et culturel de peuples qui
comprennent les Palestiniens, les Syriens, les Egyptiens, de
toutes les confessions ; les juifs sont une caste religieuse,
un « peuple classe », comme les a définis Abram Leon.
Roland Rance veut perpétuer cette caste. Moi, je veux la démantibuler.
Roland Rance veut que les Israéliens restent juifs et préservent
leur caractère à part. Moi je veux qu’ils – je veux dire :
nous ! – deviennent des Palestiniens de la religion de leur
choix, ou sans religion du tout ; qu’ils renoncent à toute
connexion avec le Peuple Juif à l’extérieur de la Palestine,
qu’ils coupent le cordon ombilical avec Abe Foxman et Morton
Zuckerman, et même avec Ronald Rance.
II
Tout
ce discours à base de « Pas en mon nom ! » et
« Le judaïsme n’est pas le sionisme » est futile.
Qu’observons-nous, empiriquement ? Moins un Israélien est
juif, plus il a de chances de lier amitié avec des Palestiniens.
Même le général Rafael Eitan, disparu depuis peu, faisait
l’admiration de ses nombreux amis palestiniens ; c’était
pourtant un pourfendeur d’Arabes, militairement. Mais il
n’avait absolument rien de juif, dans son attitude.
C’est
incontournable : il faut dé-judaïser les Israéliens, ou
encore les déconnecter du Peuple Juif outre-mer, afin de les lier
aux indigènes.
**
Il y a une deuxième raison à mon hostilité à la « judaïté » :
ce concept est utilisé afin de faire peur aux braves Américains,
Britanniques et Européens et à les dissuader de soutenir l’égalité
en Palestine, en associant cette égalité à l’ « antisémitisme ».
De fait, mes relations avec Socialist Viewpoint se sont dégradées
après la publication de mon essai The Marxists and the Lobby [Les
Marxistes et le Lobby] [4], dans lequel je critiquai Nat
Weinstein, lequel s’ingéniait à rabâcher de manière absurde
le mantra du « danger antisémite ». Résultat :
si en 2001 « Socialist Viewpoint avait été fier de publier
des articles écrits par Israël Shamir de Tel-Aviv [5], je suis décrit,
dans sa livraison de septembre 2004, comme « un certain Israël
Shamir ». Le revirement s’explique par « la thèse
de Shamir, selon laquelle le Lobby juif est le responsable premier
des crimes de l’impérialisme états-unien au Moyen-Orient ».
Cette thèse « a plus qu’un simple relent d’absurdité
antisémite », écrivent-ils. Si même le « magazine
marxiste révolutionnaire » répète les dogmes inspirés
par l’AntiDefamation League, que pouvons-nous attendre de la
part du citoyen américain lambda ?
Récemment,
les conseillers municipaux de Sommerville (Massachusetts) ont décidé
de renoncer à leur intention de désinvestir d’Israël. Les
sionistes les ont intimidés jusqu’à ce qu’ils se soumettent,
et je ne saurais les blâmer, dès lors que tous les médias américains,
depuis le New York Post jusqu’à Socialist Viewpoint, que tous
les magnats, de Dershowitz jusqu’à Weinstein, sont unis dans
leur « tolérance zéro pour l’antisémitisme »,
risquer d’encourir leurs foudres serait suicidaire. Même
l’organisation Rabbis for Human Rights [Rabbins pour les Droits
de l’Homme], très applaudie par Ronald Rance et consorts, a décrit
cette action de désinvestissement en la qualifiant d’acte antisémite.
Quelques
bons juifs ont tenté d’entamer la position juive, totalement
unie, en affirmant que le « désinvestissement n’avait
rien d’antisémite ». De la même manière, les frondeurs
français au sein du mouvement des Décembristes russes
affirmaient qu’ils n’avaient rien contre le roi, mais qu’ils
étaient plutôt contre ses ministres. Leur démarche à pas feutrés
fut bien incapable d’entraîner l’adhésion du peuple. Les révolutions
réellement couronnées de succès – comme celles de 1789 ou de
1917 – se sont produites lorsque le peuple s’est mis à
entonner La Carmagnole, avec son slogan téméraire :
« Les aristocrates : à la lanterne ! » La
marée du soutien pro-israélien nous a amenés, à mon avis, à
la destruction de la Palestine et de l’Irak. Elle aboutira sous
peu à une agression contre l’Iran. Cette marée ne reculera que
si, et lorsque, les Américains et les Européens commenceront à
rejeter les accusation d’antisémitisme (portées contre eux),
de la même manière qu’ils haussent les épaules, aujourd’hui,
devant des accusations de lèse-majesté (manque de respect envers
la Couronne). C’est pourquoi nous, qui sommes les amis et les
amoureux de la Palestine, nous devons lutter, non pas contre
l’occupation, mais afin de faire perdre à la judaïté la
signification qu’on s’ingénie à lui attribuer, et de déconstruire
la Juiverie.
L’effondrement
de la Juiverie sera, y compris pour les juifs, un développement
merveilleux. La vaste majorité des juifs pourront devenir de
simples Américains, de simples Britanniques ou de simples Français ;
une petite communauté juive ultra-orthodoxe persistera, tels les
Amish ou telle ou telle petite minorité pieuse, et elle ne sera
plus jamais en butte à la haine ou aux luttes de pouvoir.
***
La troisième motivation de la position qui est la mienne est
intra-palestinienne. Les habitants de notre terre peuvent être
classés suivant de nombreux critères : par taille et par
poids, par âge ou par tranche de revenus, par leur religion ou
leur pays d’origine. Le critère de judaïté est celui qui unit
toutes les communautés immigrées, par opposition aux indigènes.
Cela confère un énorme pouvoir à l’élite ashkénaze immigrée.
Mais si la judaïté devenait aussi (peu) importante que la
couleur des cheveux, nous nous retrouverions dans une situation
entièrement autre : il y aurait la population indigène,
plus une pléthore de communautés immigrées originaires des pays
les plus divers, et inoffensives de médiocrité. Au lieu des
Palestiniens face aux Juifs, il y aurait les Palestiniens – et
des immigrés de Pologne et d’Allemagne, de Russie et du Maroc,
du Yémen et de France. Les indigènes seront en mesure
d’exercer une influence décisive et ils finiront par absorber
ces immigrés qui n’ont rien en commun entre eux.
Aussi
ma position sur les juifs n’est-elle en rien dictée par je ne
sais quelle fantaisie, ni par la moindre considération d’ordre
religieux (comme l’affirme Rance), mais découle du constat que
je fais : il n’existe aucune autre manière d’unifier la
Palestine, de rendre aux indigènes palestiniens leur statut
naturel, et d’aider les immigrants à s’enraciner dans le sol
de la Terre Sainte.
[1] :
http://www.israelshamir.net/Israel_Shamir_Biography.htm
[2] :
Les membres de ma famille, en Suède, a l’intention d’attaquer
Rance en justice, pour atteinte à leur vie privée.
[3] :
http://www.cpgb.org.uk/worker/554/secularism1.htm
[4] :
http://www.israelshamir.net/english/the%20marxists.shtml
[5] :
http://www.socialistviewpoint.org/july_aug_01/sum_01.html
|